LES PIEDS DE MA MÈRE

Je déteste les pieds de ma mère. « Détester » n’est pas le bon mot, je dirais plutôt qu’ils m’effraient ; les pieds de ma mère m’angoissent parce qu’ils sont souvent sales, ou mal entretenus. C’est la plante de ses pieds, en fait. Quand je l’aperçois, le choc que je ressens est vite remplacé par du dégoût, de la honte, de la colère, de la culpabilité, et je me demande pourquoi, pourquoi ma mère ne se lave pas les pieds, en me répétant ce « pourquoi ? » jusqu’à me détester, vraiment, je me déteste de penser ça. Mais la réalité est violente et souvent stupéfiante de réalisme. J’aime ma mère, comprenez-moi, de la même manière que j’aimais mon père quand, à table, il parlait de politique et d’histoire, crachant parfois de la nourriture, les lèvres cramées par le vin rouge qu’il aimait boire en abondance.  Si je me rappelle ces deux choses, ou si je les évoque, c’est parce qu’elles me font penser à l’acte d’écrire.    Quelle autrice n’a pas profondément peur de se faire honte à elle-même, sans le savoir ? Que les autres soient gêné·es pour elle. Déjà, dire que j’écris, ou que je suis écrivaine, femme de lettres ou autrice, suscite en moi un vertige …