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Lignes de crête

Une ironie subtile, parfois difficile à saisir mais souvent rafraîchissante, traverse l’œuvre poétique de Gilles Cyr. Ce dernier livre nous situe en terrain familier.

Thématique·s
Poésie

Une ironie subtile, parfois difficile à saisir mais souvent rafraîchissante, traverse l’œuvre poétique de Gilles Cyr. Ce dernier livre nous situe en terrain familier.

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Parcourant Voix riches voix sèches, le premier recueil publié par Gilles Cyr depuis Huit sorties (L’Hexagone, 2012), je renoue avec la rigueur lexicale et formelle du poète, son goût pour les voyages et, surtout, son humour pince-sans-rire. «J’affiche mon fameux sourire», écrit-il dans ce nouveau livre, qui relate notamment un séjour en Crète. Un sourire qui semble parfois nous dire: «vous n’êtes pas certain d’avoir compris le sens de mon poème? C’est normal, moi non plus je ne sais plus où je veux en venir…» Il existe une mince ligne de crête (pardon pour le jeu de mots) qui sépare l’ironie de l’insignifiance, l’humour du cynisme. L’écriture de Cyr nous y ramène constamment.

C’est parce que rien ne se passe, ou presque, durant ce voyage au cours duquel l’auteur se retrouve «happé par la vie quotidienne». Il est question ici de rencontres, d’amitiés temporaires et de paysages; Cyr s’intéresse, avec une savante désinvolture, à des oliveraies, des poules, des ânes, des villages silencieux… Il collectionne les anecdotes, se méfie des épiphanies. Les poèmes adoptent le ton de la conversation et, parfois, celui du guide touristique:

transportons-nous maintenant
vers Omalos le souffle des montagnes
on est venu pour cela
c’est-à-dire pas tout à fait

dans l’école désaffectée
l’unique café est ouvert
avalons une bouchée
nous suivrons cette route indirecte

Paléochora siéra à merveille
pour arranger un texte
s’alarmant sur des riens

Cette poésie, en effet, «s’alarme sur des riens»; elle attire notre attention sur des «endroits que rien ne signale», peut-on lire ailleurs, et c’est peut-être ce qui constitue sa force. Pas de tape-à-l’œil, ni de provocations puériles, ni d’envolées surréalistes: l’écriture cherche moins à éblouir qu’à jeter un doute dans notre esprit. Un texte sans métaphore peut-il accéder au statut de poème? Oui, bien entendu, mais à quel prix?

Un poète lecteur

Après une première section consacrée à son voyage en Grèce, l’auteur part à la recherche de «patelins épatants» (soulignons l’efficacité de l’oxymore) et nous parle de nourriture, de pluie, de soif… Le propos s’égare un peu avant de retrouver une belle unité à la toute fin du livre, à mon avis la partie la plus grinçante, dans laquelle sont abordés des thèmes liés à la lecture, au monde littéraire et à ses travers. Le poème devient ici critique, plus que jamais sarcastique. Le ton est toujours celui de la conversation, mais l’écriture se resserre, entre dans le jeu de la polémique, sans nommer qui que ce soit: «Avec le talent que nous leur accordons / ils produisent énormément», constate notamment Cyr, avec son «fameux sourire».

L’écrivain règle-t-il ses comptes avec le milieu? Si c’est le cas, il le fait avec légèreté. Il y a une forme de détachement salutaire dans ces poèmes, dont le style pamphlétaire nous ramène à l’humour corrosif de Thomas Bernhard (celui des Arbres à abattre). Le petit monde de la poésie québécoise, parfois trop consensuel, en prend pour son rhume: «la presse en parle ce matin / montrons les choses comme elles sont / dans la seconde partie /exténuée c’est le désastre».

Écrire à dos d’âne

Ainsi apparaissent plusieurs mises en abyme (Cyr parle de poèmes dans ses propres textes et réfléchit à sa pratique en évoquant d’autres écrivains), et se dessine en creux une poétique d’auteur:

Ils m’ont vanté ce bouquin
des amis, d’ordinaire lucides
le sujet n’est pas neuf
qui n’en séduit pas moins

très écrit et très drôle, gros de
subtilités d’enchaînements
dans un style qui ne faiblit jamais
un beau livre c’est un livre qu’on lit

Ce livre «drôle», «gros de subtilités», ce livre qui ne sera jamais nommé et qui acquiert, par le fait même, un caractère exemplaire, je ne peux m’empêcher de l’associer à Voix riches voix sèches, un recueil ne proposant sans doute pas de «sujet neuf» (du moins, pas en apparence), mais dont l’écriture finira par «séduire», pour peu qu’on adopte son rythme lent, son ironie et son attention aux événements minuscules qui ponctuent le quotidien:

Dernière surprise de l’escapade
sur une piste oubliée reliant
Mariou à Plakias
j’ai vu un âne, il m’a vu

Au Moyen Âge, Guillaume d’Aquitaine affirmait composer des vers de «pur néant», «en dormant / sur un cheval» Quand il voyage en Grèce, Gilles Cyr écrit quant à lui à dos d’âne. Dans un cas comme dans l’autre, le poème n’a pas à justifier ce qu’il dit.

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Gilles Cyr
Montréal, L'Hexagone
2022, 108 p., 22.95 $