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Récits crépusculaires

En 2022, Les Six Brumes ont célébré leur vingtième anniversaire. Quoi de mieux pour le souligner qu’une brochette de nouvelles écrites par des auteur·rices ayant marqué l’imaginaire de la maison?

Littératures de l'imaginaire

En 2022, Les Six Brumes ont célébré leur vingtième anniversaire. Quoi de mieux pour le souligner qu’une brochette de nouvelles écrites par des auteur·rices ayant marqué l’imaginaire de la maison?

Crépuscules, le plus récent ouvrage publié par Les Six Brumes, s’inscrit dans un triptyque d’œuvres jalonnant leur histoire. Comme l’indiquent les éditeurs Jonathan Reynolds et Guillaume Houle dans la préface, ce livre «crée un pont unique entre le passé et le futur des éditions Les Six Brumes». De fait, un premier recueil, intitulé L’aurore, a vu le jour en 2002, suivi en 2004 par Équinoxe. Crépuscules vient clore cette lignée solaire et mettre la table, dirait-on, pour les projets à venir. C’est donc avec grand intérêt que j’ai entamé la lecture de ce collectif, intriguée de découvrir des plumes que je ne connaissais pas, et enthousiaste à l’idée de renouer avec celles qui m’étaient déjà familières.

Voyages aux confins des possibles

Ce sont treize nouvelles bien distinctes, signées par François Pierre Bernier, Geneviève Blouin, Claude Bolduc, Philippe-Aubert Côté, Luc Dagenais, Frédérick Durand, Mathieu Fortin, Ariane Gélinas, Empereur Ghoule, Caroline Lacroix, Pierre-Luc Lafrance, Jonathan Reynolds et Marki St-Germain, qui attendent les lecteur·rices. Fantastique, science-fiction, fantasy, suspense, horreur: on a droit à un beau panorama qui recouvre les genres littéraires chers à la maison d’édition. L’escapade vaut le détour.

De nos régions québécoises à la première colonie humaine établie sur une lune de Jupiter, du fantaisiste Royaume de Compas à un monde vu à travers des lunettes de réalité virtuelle appelées shades, les récits de Crépuscules nous catapultent, chacun à leur manière, aux frontières des imaginaires de leurs créateur·rices. Page après page, l’expérience devient immersive. Si, dans certaines nouvelles, des événements troublants distordent le réel tel que nous le connaissons, d’autres nous apprennent plutôt que ce réel est très différent du nôtre, et qu’il nous faut l’apprivoiser, une révélation à la fois. Les textes nous invitent à laisser de côté notre quotidien et à investir celui de leurs personnages. Et il y en a vraiment pour dépayser un large public. 

Dans un Outaouais d’une autre époque, nous enquêtons sur un meurtre homophobe aux côtés de Ti-Jean, le cook dégourdi d’un camp de bûcherons, dépeint avec efficacité par Luc Dagenais. Avec l’envoûteuse Alya, l’héroïne de Philippe-Aubert Côté, nous explorons l’univers riche de Nahual et découvrons ses puissants artefacts, ainsi que les Gardiens ancestraux qui en assurent la sécurité. Sur «l’île dans l’île dans l’île», d’Ariane Gélinas, nous nous prenons à nous inquiéter du sort de la fée Malaya, qui s’effrite malgré les efforts déployés par son amante Alasie. En compagnie de Marie et de ses multiples doubles aux noms similaires, nous nous perdons dans l’habile mise en abyme de Frédérick Durand, dont les dédales anxiogènes nous offrent une expérience très «méta». Nous partageons aussi, dans le texte d’Empereur Ghoule, les angoisses de PO, contraint d’accorder une attention immédiate à toute personne avec qui il a le moindre contact physique.

Ces cinq récits figurent parmi mes favoris du recueil. Bien entendu, il m’est impossible de présenter toutes les nouvelles que j’ai aimées, car l’exercice s’avérerait beaucoup trop long pour l’espace dont je dispose ici. En refermant le livre à la fin de ma lecture, pourtant satisfaite d’avoir été divertie et transportée d’un univers à un autre, j’ai dû reconnaître que le recueil n’est malheureusement pas sans défauts.

Un cliché fondé

On dit souvent des œuvres collectives qu’elles sont inégales en raison des disparités possibles entre les différentes contributions des auteur·rices, notamment sur le plan de leurs qualités littéraires. Bien que ce cliché m’agace d’ordinaire, je suis forcée d’admettre que les fictions de Crépuscules ne se valent pas toutes. Alors que la grande majorité d’entre elles m’ont paru originales, maîtrisées et enlevantes, quelques autres m’ont laissée plutôt indifférente. Cela dit, la faiblesse du livre, selon moi, réside surtout dans son absence d’unité globale ou de fil conducteur. Comme chacune des propositions possède ses propres couleurs, thèmes et genres, le texte ne peut que s’appuyer sur lui-même pour montrer en quoi il a sa place dans le florilège. Si plusieurs nouvelles en tirent largement avantage, d’autres souffrent de la comparaison et paraissent beaucoup moins solides.

Quoi qu’il en soit, Crépuscules rend hommage à l’histoire des Six Brumes de bien belle façon, et présente une offre diversifiée et de bonne qualité, que j’ai pris plaisir à lire dans son ensemble. Bien entendu, les récits favoris des un·es peuvent être les mal-aimés des autres: il en tient donc aux lecteur·rices de décider ce qu’il en est!

Auteur·e·s
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Article au format PDF
Collectif, Guillaume Houle, Jonathan Reynolds
Sherbrooke, Les Six Brumes
2023, 244 p., 25.00 $