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Conte de pluie et de mer

Après Flammes (Alto, 2021), un premier roman foisonnant, Robbie Arnott nous offre la sérénité de l’eau. Un récit épuré, où les forces de la Nature s’incarnent dans des bêtes fantastiques.

Littératures de l'imaginaire

Après Flammes (Alto, 2021), un premier roman foisonnant, Robbie Arnott nous offre la sérénité de l’eau. Un récit épuré, où les forces de la Nature s’incarnent dans des bêtes fantastiques.

L’oiseau de pluie est la deuxième addition de l’auteur tasmanien Robbie Arnott au catalogue des éditions Alto. Porté par une superbe traduction de Laure Manceau, le roman subjugue dès ses premières pages.

Les secrets des eaux

Tout commence sur le rythme du conte. Nous sommes dans un pays indéfini, au creux d’une vallée agricole, auprès d’une fermière anonyme qui semble maudite: son grain ne pousse pas, son riz pourrit sur pied… Un jour, elle manque de périr au cours d’une tempête qui amène un étrange oiseau, un héron fait de pluie. Tandis que l’oiseau fantastique survole sa propriété, la fermière renoue avec la prospérité. Cependant, son bonheur attise les jalousies. Attaqué, le héron disparaît. Peut-être est-il mort, peut-être est-il simplement parti, on l’ignore. On sait toutefois que la vallée ne survit pas à son absence.

Le temps passe. Le récit enchaîne avec une ermite installée dans la montagne. Un ami et son fils la visitent parfois depuis la ville voisine. On apprend le nom de la femme, Ren, ainsi que celui de son ami, Barlow, mais presque rien de plus. On devine un conflit lointain, un coup d’État. Quelques soldats et leur lieutenante arrivent à la montagne. Chargée de trouver et de capturer l’oiseau de pluie, la militaire est persuadée que Ren peut l’aider, et résolue à la forcer à collaborer.

On change ensuite de lieu. Peut-être aussi d’époque. Nous voici au bord de la mer, auprès de Zoé, de sa tante et de calmars qui produisent une encre merveilleuse, en échange de sang humain. L’arrivée d’un homme venu du nord marque le début d’un hiver particulièrement rude. L’homme veut découvrir comment les pêcheurs se procurent l’encre. Il est prêt à toutes les violences pour posséder ce secret.

Après ce méandre, le roman nous ramène vers les soldats, leur lieutenante et le héron de pluie. Les détours du récit révèlent leur sens, dévoilent les secrets des eaux. Ceux qui ont saccagé le pays exigent qu’on s’approprie l’oiseau. Toutefois, à la lumière des esquisses de leur passé, on devine que les personnages seront poussés vers d’autres quêtes.

De ruisselets à fleuve

Pluie, mer, glace, neige: l’eau, sous toutes ses formes, est très présente dans cet ouvrage. Les calmars y vivent, le héron l’incarne. La forme même du roman l’évoque: les chapitres sont courts comme des averses, canalisés en ruisselets narrés à la troisième personne, qui s’assemblent en un fleuve final, raconté à la première personne, et réunissant tous les protagonistes. L’écriture elle-même est fluide, trompeusement simple, parsemée d’images fascinantes, comme ce moment où le héron, perché sur un arbre en plein soleil, «passait son long bec sur ses ailes céruléennes. […] De l’eau coulait des plumes à mesure que l’oiseau les lustrait et les gouttes tombant en filet continu formaient une mare au pied de l’arbre.»

L’aspect surnaturel de l’œuvre aurait pu sembler anecdotique, parallèle à l’intrigue, et non intrinsèquement lié au récit, mais Arnott nous laisse deviner les ravages climatiques qui se produisent lorsqu’on néglige le héron, et leurs conséquences sur l’univers des personnages. Les thèmes écologiques ne sont pas sans rappeler Faunes (2018), de Christiane Vadnais, roman également publié aux éditions Alto. À mon grand plaisir, les pouvoirs de l’oiseau et ceux des calmars sont assumés, affirmés, interdisant le sacro-saint, mais désuet doute todorovien. Arnott a cependant la sagesse de ne pas essayer de nous les expliquer, nous préservant ainsi des incohérences logiques ou des erreurs de jargon pseudo-scientifique.

Et si l’auteur s’abstient de nommer les lieux ou de détailler le coup d’État – bref, d’étoffer ce qu’on appelle communément «l’arrière-monde» en littératures de l’imaginaire –, il évite aussi l’écueil du lieu métaphorique trop évident. Par petites touches subtiles, il crée un effet de réel: le pays contient plus d’une ville, la géographie demeure floue sans être absente, la temporalité est manifeste, et les habitants anonymes n’ont pas d’opinions unanimes. Les lecteur·rices ont donc l’impression de pouvoir situer l’histoire quelque part, dans un lieu suffisamment indéfini pour qu’il ressemble à leur pays… ou peut-être à la contrée voisine.

Les personnages, même s’ils restent un peu distants, sonnent juste. On reconnaît la fermière malchanceuse, l’ermite déçue de ses contemporain·es, l’orpheline éperdue, l’infirmier trop gentil pour être soldat, la lieutenante déboussolée. La fin ouverte nous laisse espérer, en leur nom, paix ou vengeance, selon nos penchants.

Les traductions sont souvent présentées comme des ponts entre les cultures. Les éditions Alto ne se contentent pas de nous offrir quelques précaires passerelles: elles multiplient les ouvrages d’orfèvre menant à des destinations de choix… comme ce lieu où niche L’oiseau de pluie. Il m’a happée. Je parie qu’il vous emportera.

Auteur·e·s
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Article au format PDF
Robbie Arnott
Traduit de l'anglais (Tasmanie) par Laure Manceau
Québec, Alto
2023, 328 p., 29.95 $