Concours de critiques | Prix littéraire des collégien·ne·s
Le Prix littéraire des collégien·ne·s est décerné chaque année par un jury formé d’étudiants et d’étudiantes du collégial. Il poursuit un double objectif : faire connaître davantage la littérature québécoise contemporaine et servir de lieu d’expression des goûts littéraires de la jeunesse étudiante. Depuis l’édition de 2024, Lettres québécoises met sur pied un concours de critiques littéraires auquel tous les collégien·ne·s du Québec sont invité·es à participer. Cette année, ils et elles ont passé en revue les cinq oeuvres en lisse : Amiante, de Sébastien Dulude (La Peuplade), Petite-Ville, de Mélikah Abdelmoumen (Mémoire d’encrier), Poudreuse, de Sophie Lalonde-Roux (L’instant même), Rue Duplessis, de Jean-Philippe Pleau (Lux Éditeur), et Tout me revient maintenant, de Jean-Michel Fortier (La Mèche). Notre jury, composé de Nicholas Giguère, Mégane Desrosiers, Josiane Cossette et Lynda Dion, a sélectionné une critique gagnante pour chacun de ces titres.

CONSUMER SES SOUVENIRS
Béatrice Thibaudeau-Côté | Cégep de l’Outaouais
Sébastien Dulude explore dans Amiante, son premier roman, la rencontre entre la violence de la mine et le monde naïf de l’enfance. Sa plume mature et sensible livre une histoire tragique d’un grand lyrisme.
Amiante, c’est une aventure dans la banalité de l’été 1986 à Thetford Mines. Steve Dubois et son meilleur ami Charlélie Poulin profitent de la liberté que leur offre la saison chaude pour s’adonner à des jeux plaisamment ingénieux ou interdits. Dulude compose un riche récit d’apprentissage rythmé à la fois par l’exaltation et la peur.
Amiante, c’est aussi la mine, bruyante, violente et toxique, qui rappelle sa présence à chaque dynamitage, réglé comme une horloge. La mine est une métaphore sournoise du monde des adultes et de la masculinité qui pèsent sur Steve avec la force des camions que conduit son père. L’été 1986 avec Charlélie est paisible et douillet, protégé par cet amiante résistant et ininflammable, dernier rempart avant la tragédie.
Steve est un personnage aux mille nuances. Le contraste entre la narration de 1986 et celle de 1991 est frappant. L’atmosphère perd son onirisme comme le garçon perd son innocence. La métaphore filée du feu conduit brillamment le lecteur dans la complexité des émotions du jeune protagoniste. La lutte constante entre le brasier embryonnaire qui crépite chez le narrateur et l’amiante extincteur crée une tension narrative efficace que l’auteur résume ainsi : « comment exploser dans une ville qui ne brûle pas ? »
Le style poétique de Sébastien Dulude est immersif et subtil. L’auteur transmet sans peine une vaste gamme d’émotions grâce à une poignée de personnages profondément humains. La violence du milieu ouvrier de Thetford Mines est douloureusement naturelle. Cachée ou assumée, la brutalité laisse sa marque au fer rouge sur le protagoniste, genèse d’une colère sourde qui grandit au même rythme que Steve.
Le premier roman de l’auteur montréalais déploie une ribambelle d’anecdotes à saveur nostalgique, comme le goût sucré du jus de pomme et des Mr. Freeze au bord de la piscine. Dulude invite le lecteur à plonger dans un rêve éveillé où le fantasme adolescent flirte de trop près avec le cauchemar. Un univers indubitablement touchant.
Sébastien Dulude, Amiante, Saguenay, La Peuplade, 2024, 224 p.

DÉCHIRURE SOCIALE : RÉCIT D’UN ENTRE-DEUX
Yvona Lupescu | Cégep de l’Outaouais
Jean-Philippe Pleau raconte, dans Rue Duplessis, son histoire percutante de transfuge de classe, qui inspire autant qu’elle sensibilise à la perpétuation des classes sociales et à l’illusion de l’égalité des chances.
Né d’un père analphabète et d’une mère peu scolarisée, Jean-Philippe Pleau grandit à Drummondville dans une pauvreté tant économique que culturelle, qu’il décrit avec un admirable souci du détail et de la vérité. À travers de courts épisodes enchaînés fluidement, l’auteur brosse le portrait de son enfance, de son adolescence et des rencontres qui lui permettront de découvrir le monde de la sociologie et d’entamer sa transformation culturelle et identitaire.
La narration, bien que non chronologique, est tout à fait limpide et permet à Pleau de mettre l’accent sur ses anecdotes les plus marquantes, qu’il fait parfois suivre d’un bref commentaire analytique, offrant ainsi son regard critique de sociologue sur les forces sociales qui ont influencé sa propre vie. Entre l’hypocondrie accablante de sa mère, la violence de classe ainsi que l’omniprésence de la masculinité toxique et des préjugés xénophobes et homophobes, l’atmosphère tumultueuse dans laquelle évolue Pleau le forme, tout comme elle a formé ses parents avant lui, et lui lègue un trouble anxieux dont il devra apprendre à guérir.
Il ne faudrait toutefois pas se méprendre : Rue Duplessis est également un témoignage attendrissant de l’amour qu’a Pleau pour ses parents, malgré le fossé culturel qui les sépare désormais. L’auteur donne vie au langage coloré de la classe ouvrière, notamment en relayant les acrobaties que fait son père, qui emploie des expressions singulières comme « anishquadate », à la langue française.
L’influence inspirante qu’ont eue sur Pleau les récits d’autres transfuges de classe, tels qu’Annie Ernaux, Édouard Louis ou encore Didier Eribon, se fait sentir tout au long du roman, tout comme le palpable désir de Pleau d’offrir une communauté à ceux qui se reconnaissent dans son parcours, objectif qu’il atteint certainement avec cette œuvre.
Jean-Philippe Pleau, Rue Duplessis : ma petite noirceur, Montréal, Lux, 2024, 328 p.

REGARDE-MOI
Félix Lapointe | Cégep de Trois-Rivières
Peut-on éviter les clichés tout en abordant des sujets maintes fois traités en surface ? Avec Tout me revient maintenant, Fortier prouve que certains choix concernant la narration et les personnages permettent d’approfondir les thèmes proposés.
Un amour en apparence impossible, un héros en quête de sens ainsi qu’une multitude de références aux plus grands succès de Céline Dion : voici réunies les diverses facettes d’une lecture accrocheuse qui se retrouvent dans le plus récent roman de l’auteur Jean-Michel Fortier, Tout me revientmaintenant. Entre secrets et impostures, le jeune Colin Bourque brûle d’arborer l’image des « gars normaux » et s’efforce de tout son être de se plier aux standards de la société, au détriment de sa vraie nature : « Même si je porte encore au fond de moi l’envie impossible d’être un garçon comme les autres. »
Tout me revient maintenant se veut le récit d’une adolescence tourmentée et tumultueuse au début des années 2000. Effectivement, l’univers du fougueux Colin Bourque repose sur deux certitudes : il aime Céline Dion… et les garçons. En compagnie de sa meilleure amie, Eugénie Bujold, et de son indéfectible soutien, le héros puéril et éperdu cherche à apaiser le feu qui le consume en ignorant les remontrances d’une cruelle jeunesse. Prisonnier d’une vérité qu’il peine lui-même à s’avouer, il se réfugie dans le silence pour échapper aux confessions qui, pourtant, le soulageraient : « Mais vous, parlez-moi, libérez-moi ! Dites-moi qui je suis, comment je suis. Vous ne voyez pas que j’en suis incapable. »
À l’instar d’un film typique sur le passage à l’âge adulte, les péripéties du roman se savourent simplement. La douceur et l’innocence qui s’en dégagent confèrent un élan de candeur au texte. Tout me revient maintenant se dévore d’un seul trait, tant le rythme de l’histoire se révèle fluide et entraînant. Quoique l’œuvre démontre peu d’originalité quant aux thèmes abordés, elle s’illustre par son héros imparfait. Les lacunes de Colin l’éloignent d’un certain idéal et permettent au lecteur de s’identifier davantage au personnage. Chancelant entre l’idée de se conformer aux attentes des autres et la volonté de se dégager du fardeau qui pèse sur ses jours, le jeune Colin incarne le portrait en clair-obscur d’une société où s’affranchir de sa propre oppression peut parfois se retourner contre soi.
Jean-Michel Fortier, Tout me revient maintenant, Montréal, La Mèche, 2024, 312 p.

PRIS DANS LA POUDREUSE
Saskia Langis | Cégep régional de Lanaudière à Joliette
« Arrêter la drogue. Ben oui, toi. C’est la seule chose qui me fait oublier que j’ai le goût de mourir. » Dans Poudreuse, Sophie Lalonde-Roux brosse le portrait d’un jeune homme complexe et bouleversant, déchiré entre l’amour et la dépendance.
Loup-Antoine, pris dans la roue sans fin de la dépendance et en quête de sens, tente de s’accrocher à la vie adulte, malgré le vide qui l’habite. Après avoir été mis à la porte par sa mère puis avoir vu son amour s’éteindre devant lui, il souhaite fuir ses démons. Ses deuils, du parc Émilie-Gamelin à la Gaspésie, feront naître des réflexions intimes et des relations fragiles qui le pousseront à se reconstruire.
Porté par un langage populaire, Poudreuse donne voix et visage à ces êtres souvent réduits au silence par leur dépendance. Avec un style direct, l’autrice réussit magnifiquement à instaurer une atmosphère tantôt chaleureuse, tantôt suffocante, dans une histoire où chaque moment de répit semble menacé par la rechute. L’enchaînement des événements donne un rythme rapide à l’œuvre et nous procure un sentiment d’étouffement qui reflète la détresse du personnage principal. À la lecture, on se laisse emporter par la plume de l’autrice. Chaque page s’imprègne d’émotions bouleversantes qui suivent le rythme des saisons.
Les thèmes du deuil, de l’homosexualité ou encore de l’itinérance ne sombrent jamais dans la caricature. Ils s’imposent avec justesse, nous percutant de plein fouet à mesure que l’on progresse dans l’œuvre. Le récit suggère que, même lorsque tout semble perdu, l’espoir peut toujours renaître.
Loup-Antoine nous confie directement son histoire. Il nous raconte son récit comme s’il écrivait ses plus grands secrets dans son journal intime. Ses blessures familiales, sa relation amoureuse chaotique et ses multiples tentatives de thérapie nous révèlent un homme à la fois sensible et attachant. Les personnages secondaires agissent comme des bouées de sauvetage. Ils sont discrets et tentent de sauver le pauvre homme, qui s’enfonce lui-même la tête sous l’eau.
Ce récit nécessaire, dur et émouvant nous fait passer du rire aux larmes. Il faut plonger dans cet univers déchirant où des âmes se quittent et où d’autres continuent d’espérer. « Laisse ta coquille éclater. Je vais t’aider à recoller les morceaux. »
Sophie Lalonde-Roux , Poudreuse, Longueuil, L’instant même, 2024, 120 p.

VILLE MINÉE
Marie-Ève Gravel | Cégep de Sherbrooke
Se sentir indésirable, être méprisé, marginalisé, exclu. Grandir dans la différence, rejeté par un monde impénétrable, un monde réservé aux riches. Voilà la réalité qui se retrouve dans le roman Petite-Ville de Mélikah Abdelmoumen.
Alors que l’autrice est surtout connue pour ses essais tels que Baldwin, Styron et moi (Mémoire d’encrier, 2021), elle offre à ses lecteurs un roman tissé d’archives fabriquées, de rêveries incertaines et d’une réalité troublante. Avec des variations de voix très précises, Petite-Ville raconte l’histoire d’une jeune femme issue d’une banlieue pauvre, Mia, au lendemain du meurtre d’un journaliste militant avec lequel elle a grandi : Simon James.
Alors que tous semblent vouloir découvrir ce qui se cache derrière le meurtre, Mia cherche à reprendre sa vie en main, à se comprendre elle-même. Le souvenir de Simon James envahit le monde journalistique, d’autant plus que l’évènement est grandement médiatisé, mais la protagoniste, forte et détestable par moments, tente simplement de vivre son deuil. Elle s’isole et milite à sa façon, laissant l’écho de la voix de Simon la ramener à la raison.
Petite-Ville donne une voix aux morts comme aux vivants, aux plus jeunes comme aux plus vieux : c’est un cri d’espoir qui résonne pour que toutes les voix puissent être entendues. On y aborde le racisme, mais aussi la puissance de l’empathie et de l’amour. Avec des personnages profonds et complexes tiraillés entre deux mondes, le roman ne se contente pas de relier l’imaginaire au réel : il transcende l’univers littéraire et vient rejoindre les lecteurs dans leur propre monde. Il peut sembler facile de parler des différences de classes sociales, de penser que tout n’est que blanc ou noir, mais la romancière offre un travail réfléchi, touchant, qui reflète une actualité poignante, tout en allant au-delà des clichés.
Mélikah Abdelmoumen plonge dans un imaginaire teinté de mystères, de secrets : le monde journalistique, les riches, les indésirables, la pauvreté. Jusqu’où les différences de classes se rendent-elles ? Une mort plane dans le livre, mais il s’agit de bien plus. La perte est commune aux personnes marginalisées : les Simon James existent en dehors de la littérature, à Montréal et partout ailleurs.
Mélikah Abdelmoumen, Petite-Ville, Montréal, Mémoire d’encrier, 2024, 305 p.
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