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Les filles satellites

28 mai 2020 |
Poésie
Les filles satellites

Elles sont nombreuses, ces poètes, à mettre en mots leur malaise social. Deux nouvelles plumes traduisent la solitude des écrivaines du millénaire.

Carolanne Foucher
Montréal, Ta Mère
2020, 120 p., 15.00 $
Virginie Savard
Montréal, Triptyque
2020, 96 p., 16.95 $

Elles sont nombreuses, ces poètes, à mettre en mots leur malaise social. Deux nouvelles plumes traduisent la solitude des écrivaines du millénaire.

Au moment où j’écris ces lignes, je suis confinée dans mon appartement depuis plusieurs semaines. C’est drôle à dire. Je pensais depuis longtemps à cet article sur l’impossibilité du lien incarné chez les jeunes femmes poètes. Un truc entendu. Relativement facile à analyser. Perçu chez des figures de proue comme Marie Darsigny, Maude Veilleux, et encore chez des émules comme Virginie Savard et Carolanne Foucher. Le lien difficile, contre nature; le lien comme une corvée souffrante; le lien comme un supplice de Tantale. Aujourd’hui, devant mon écran, j’en ai presque le tournis, à l’heure où tout contact nous est interdit. Ironique, dirait Alanis. Pas Obomsawin. Mais la chanteuse de Jagged Little Pill. Encore qu’Obomsawin puisse nous en dire aussi long sur le sujet, dans un tout autre contexte. Passons.

L’impossibilité du lien

Ici, deux poètes entre quatre murs blancs. À regarder écailler la peinture; à chercher du sens dans leur isolement. Bien avant que tout s’effondre pour le monde et la planète entière. Comme l’écrit Savard dans son premier recueil :

je reste chez moi je prends
tout le temps nécessaire
pour dépecer l’angoisse
exposer ses entrailles
sur les murs du salon

Carolanne Foucher, pour sa part, « tourne en rond dans [ses] contacts ». Cherche à faire résonner quelque chose dans son appartement silencieux. Mais là où Savard s’empêche et s’enferme, Foucher, elle, espère un deus ex machina qui la sauverait de l’ennui : « Attendre que rien n’arrive / Encore et encore ».

Une hébétude partagée donc, comme un mal de naissance. Chez Foucher, la poésie s’ancre dans un ordinaire presque célébré et répété tel un mantra. Dans son recueil, qui s’approche davantage d’une courte nouvelle hachurée que de la poésie (même dite pop), elle répertorie le prosaïque. L’amour plus facile en chandail de laine alpaga. La cuisson des spaghettis. Le calfeutrage des fenêtres d’un deux et demie anxiogène qu’elle arpente sans passer devant le four quand le gâteau lève. 

Ce souci de détailler l’ordinaire a un but. Il fait figure de contrepoids à une deuxième partie dans laquelle le banal reprend ses vertus. Après le chamboulement tant espéré. En attendant, Foucher se revisite. L’amour adolescent dans « tout ce béton qui enlevait à nos flip phones / quatre barres sur cinq de réseau ». Et dans un sursaut pour briser le temps qui stagne et coagule :

réécrire à son ex
à mi-chemin entre
mauvais move
et passage obligé.

[…]

rouvrir le cercueil
voir ce qui en est resté.

On passe le temps comme on peut quand on a vingt ans et une solitude à faire éclater les fruits.

Foucher nomme le désœuvrement avec des mots simples et peint sa nature morte. Au détour de ce répertoire, le littéraire se perd parfois en chemin. On apprécie pourtant les images fortes quand elles se pointent, tout comme « [l]es yeux salissants » pendant le choc amoureux d’anciens amants. Ou encore cette très jolie strophe tout en allitérations : « Une fille flambette / hocus pocus / en femme toastée ».

Enfermement

Chez Savard, la solitude s’étale comme une marée noire. Les lieux sont inhabitables. À commencer par le corps, qui ne répond à aucun critère et que l’autrice enferme à l’intérieur des murs en même temps qu’elle : « Je ne fais que compter encore / Le nombre de jours depuis / Que quelqu’un m’a parlé ».

Les Formes subtiles de la fuite, ce sont ces petites choses qui rassurent, alors qu’elles nous gardent inlassablement sur le mauvais chemin. Tout est dans le titre : la complaisance est ici parfaitement consciente et utilisée comme ressort. L’appesantissement devient identitaire : « Je ne sais plus / être autre chose / que mon bouleversement ». Ou encore : « Quand tout va bien je ne sais plus / quoi préparer ».

L’autrice prend le même pari que sa consœur et se revisite dans ce temps étale – un temps dont on ne sait généralement que faire. Mais là où l’une court sans succès dans les bras des autres (« Je ne sais pas recevoir », dira Foucher devant son test de grossesse), l’autre se ferme à double tour : « J’ai […] couvert mes lèvres de goudron / pour que personne ne m’embrasse ».

Dans les deux livres, l’incapacité d’établir des contacts demeure l’enjeu central. Filles-îles. Filles-satellites. « Ma dévastation sera temporaire », écrit Savard, comme une exhortation, tandis que « le ciel n’arrête pas / d’oublier de tomber ».

Maintenant que nous sommes tous et toutes à l’image de ces sujets, c’est-à-dire esseulé·es et cloîtré·es dans nos habitations, maintenant que les liens sont impossibles, peut-être trouverons-nous, dans les tourments décrits dans ces ouvrages, une forme de consolation, voire de complicité.

L’enfermement comme expérience provisoire d’empathie. 

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