Aller au contenu principal

Le commencement

3 septembre 2020 |
Bande dessinée
Le commencement

Les écrivain·es dont les ouvrages d’autofiction explorent le thème de la peine d’amour sont légion. Julie Delporte se démarque du lot par son honnêteté.

Julie Delporte
Montréal, Pow Pow
2020, 192 p., 28.95 $

Les écrivain·es dont les ouvrages d’autofiction explorent le thème de la peine d’amour sont légion. Julie Delporte se démarque du lot par son honnêteté.

Voici réédité le premier album de l’autrice de Je vois des antennes partout (Pow Pow, 2015) et de Moi aussi je voulais l’emporter (Pow Pow, 2017). Cette dernière œuvre pourrait être considérée comme la plus importante de Delporte. Manifeste féministe, Moi aussi je voulais l’emporter était une réflexion sur le fait d’exister en tant qu’artiste et remettait en question les diktats établis et persistants pour les femmes. Delporte réfléchissait à ces enjeux à travers sa vie quotidienne.

Avec la réédition de son Journal, d’abord publié en anglais, en 2013, à Koyama Press, puis en français, en 2014, aux éditions L’Agrume, on assiste littéralement à la genèse de son processus créatif. D’ailleurs, Delporte écrit en page de garde : « Ce livre témoigne de la naissance de l’artiste que je suis aujourd’hui. »

Comment le dire ?

Le journal que tient la bédéiste s’échelonne sur presque dix-huit mois, de février 2011 à octobre 2012. Dès les premières pages, elle nous introduit à ce qu’on croit être le vif du sujet : la séparation d’avec l’être aimé. Le couple qu’elle formait depuis trois ans n’est plus. Bien sûr, tout ne s’est pas fait pas en douceur. Dans les premières planches, le lecteur est témoin du déchirement qui gruge la narratrice : elle tente d’avoir des nouvelles de son ex, s’inquiète, se questionne. L’autrice soulève aussi quelques enjeux de l’écriture diaristique : peut-on tout dire ? ; et comment le dire ? ; pourquoi s’autocensurer ?

« Le privé pour moi, ce sont les tabous, l’étouffement, les secrets dont il ne faut pas parler, les apparences qu’il faut sauver au détriment d’une vérité qui m’a toujours soulagée. »

Delporte opte d’ailleurs pour cette « vérité », la sienne. En existe-t-il une autre ? Au fil des dessins, elle tente de trouver le ton juste : analytique au début de l’album, il devient plus sensible par la suite. En feuilletant le livre, on perçoit l’évolution de l’artiste. En effet, les couleurs, plus sombres dans les premières pages, s’éclaircissent doucement, puis s’imposent par leurs teintes éclatantes.

Bien que l’écrivaine nous livre, tout au long de la bande dessinée, les émotions qui la traversent, c’est davantage son cheminement vers une définition d’elle-même qui est mis en relief. Delporte cherche peut-être un peu trop à bien se faire comprendre en expliquant longuement sa vision, mais c’est sa façon de se dévoiler, de se révéler. Elle veut absolument être comprise, à un point tel qu’elle remplit sa planche de dialogues, alors que la charge émotionnelle de son dessin aurait amplement suffi. Le résultat est cependant très beau, coloré et jamais redondant. Il y a des représentations de gens, d’objets, d’animaux. Certaines pages sont saturées ; d’autres, presque vides. Pourtant, au milieu du livre, on perçoit quelques redites qu’il aurait été possible d’éviter.

Première œuvre

L’album de Delporte, même s’il est fort bien conçu, n’échappe pas aux lacunes des premières œuvres. Ainsi, pour calmer sa douleur, la narratrice se plonge dans des livres et des films qui la poussent à se questionner sur sa situation, sur la société et, évidemment, sur elle-même. Ici encore, l’économie aurait été souhaitable, plutôt que la surenchère de références littéraires (Kristeva, Deleuze) et cinématographiques (Bergman, Cassavetes, Tarkovski) évoquées par le biais des nouvelles écrites dans les cours de création littéraire de l’UQAM. Heureusement, ces maladresses n’atténuent pas l’attachement que l’on éprouve pour la narratrice. Afin de savoir qui elle est vraiment, elle doit nécessairement passer par un processus d’identification à des œuvres culturelles marquantes.

Cette réédition plaira aux converti·es, à ceux et celles qui ont déjà été conquis·es par les albums de Delporte. On reconnaît dans son Journal les thèmes qui lui sont chers et qu’elle reprendra par la suite. Pour celles et ceux et qui en seraient à leur première rencontre avec la bédéiste, elles et ils trouveront peut-être que ses dialogues sont parfois trop chargés. Ceci dit, il s’agit d’un album bien fait, honnête dans son propos, annonçant les belles œuvres à venir.

Bande dessinée