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Vivre de ses succès

Frère et sœur, mais aussi autrice prolifique et fondateur visionnaire des éditions Les Malins, Catherine et Marc-André travaillent ensemble depuis les années 1990.

Dossier

Frère et sœur, mais aussi autrice prolifique et fondateur visionnaire des éditions Les Malins, Catherine et Marc-André travaillent ensemble depuis les années 1990.

Marc-André Audet : Après avoir passé sept ans chez Modus Vivendi et travaillé au développement de plusieurs franchises, notamment celles de Dora et Bob l’éponge — dont Catherine a d’ailleurs été la traductrice —, je voulais me rapprocher de la création. Mon déclencheur : j’ai constaté que les guides pour ados sur le marché étaient à des années-lumière des bouquins que j’aimerais mettre entre les mains de ma fille, si j’en avais une un jour. Pourquoi je n’en profiterais pas pour voler de mes propres ailes ? Et qui de mieux pour devenir une « grande sœur » des ados que Catherine, du haut de ses 2 827 peines d’amour minimum à l’époque ?

Catherine Girard-Audet : J’ai pris de l’assurance dans l’écriture depuis la sortie du premier ABC des filles [2008]. Je suis passée de jeune adulte à adulte, mais j’ai gardé mon cœur d’adolescente. J’ai une petite fille maintenant et comme Marc-André, pour moi aussi il est question de ce que je veux lui donner comme valeurs.

M.-A. A. : Chaque année, entre 12 000 et 14 000 jeunes Québécoises, et les parents de ces jeunes Québécoises, ont envie de grandir avec L’ABC des filles. On arrive à se renouveler pour rester pertinent. Nous avons effectué une grosse refonte pour le 10e anniversaire, l’an dernier. Cependant, c’est la série Léa [dont l’autrice est aussi Catherine] qui est notre plus gros succès de vente aux Malins. Jamais je ne me suis lancé en affaires pour avoir du succès. Je ferais probablement plus d’argent si je dirigeais une branche d’une grosse maison d’édition et je suis persuadé que Catherine n’est pas devenue auteure jeunesse dans l’espoir de devenir riche.

C.G.-A. : Je ne vais pas le nier, ma série Léa Olivier est un succès. Je vis de ma plume, c’est très rare au Québec. Est-ce qu’on s’attendait à ça ? Absolument pas. Étrangement, la pression est plus grande une fois que tu as du succès. C’était tellement beau nos premières années où on n’avait absolument rien à perdre et pas une cenne. Mon nom n’avait pas vraiment d’importance et on essayait plein de choses. J’essaie de me remettre là-dedans, de profiter de mon succès pour aller ailleurs et innover.

M.-M. A. : Il n’y a rien de pire qu’un succès en édition, m’a-t-on répété. Souvent, je dis à Catherine que c’est fort probable qu’on ne vive plus jamais un succès comme la série Léa Olivier dans notre carrière. Et on n’a pas le droit d’être déçus. Ce n’est pas juste un coup de circuit, c’est un grand chelem. C’est quelque chose que je ne m’attendais pas à vivre et je pense que tu ne t’attendais pas à vivre ça non plus ?

C.G.-A. : Tu te rappelles mes attentes au départ ?

M.-A. A. : Oui, et cette situation peut devenir stressante dans la mesure où tu te construis comme éditeur sur tes succès : tu en profites, tu grandis l’équipe, et soudainement on s’attend à ce que tu fasses d’autres succès.

C.G.-A. : C’était une pression pour toi aussi comme éditeur ?

M.-A. A. : Oui. Je n’ai pas envie de dire à des membres de mon équipe : allez travailler ailleurs. J’ai essayé de faire très attention à ça. D’avoir toujours plusieurs coups d’avance. J’essaie de me concentrer sur l’humilité que ça apporte, j’ai été plus que chanceux d’avoir une petite sœur aussi talentueuse, des amis qui sont venus travailler avec moi, les meilleurs de leur domaine, des gens qui me font confiance. Je ne me dis pas en me levant le matin, je le mérite, mais plutôt : les gens autour de moi le méritent. Je suis encore surpris que des personnes beaucoup plus talentueuses que moi aient envie de travailler avec moi. Les employés des Malins se donnent beaucoup plus que je ne me suis jamais donné pour un aucun employeur.

C.G.-A. : Moi, je n’en reviens pas du succès de Léa Olivier. Je me souviendrai toujours du Salon jeunesse de Longueuil, alors que je venais de sortir le premier tome, il y avait une file devant ma table. Je n’étais pas connue, j’avais certes mon blogue à Vrak, mais mon nom commençait à peine à circuler. J’ai dit à Marc-André : « Je pense que cette série va fonctionner. » Sans compter que de sentir que mon histoire a de la résonance est quelque chose que je n’oublierai jamais. Mais ma plus grande surprise est le succès au-delà des frontières du Québec. On revient de France et de Belgique, c’est incomparable avec ce que je vis ici, même au Salon du livre de Montréal.

M.-A. A. : Des files à l’extérieur des librairies, une fois, en Belgique ils ont même dû bloquer une rue avec des clôtures en métal !

C.G.-A. : Et je ne suis pas chanteuse ou comédienne, je suis Québécoise et ce n’est pas traduit. Tout ça me dépasse ! Je retourne deux ou trois fois par année en Belgique et je pense chaque fois que ça va se calmer, mais non, jamais, même au Québec, ça continue. Ça, je ne peux pas l’expliquer. Et je sais qu’il faut que j’y goûte, j’y touche, car quand l’aventure de Léa sera terminée, je serai une has been ! Mais il n’y a pas de fin prévue pour la série pour l’instant. Je découvre, je suis le pouls des lectrices. Si j’avais senti une perte d’intérêt, ou que moi j’avais une perte d’inspiration, j’aurais arrêté, mais ce n’est pas le cas. On dit souvent que le créneau des 17-20 ans est difficile à rejoindre. J’ai la chance d’avoir mes lectrices, elles me suivent. J’ai vu en Belgique des grandes de 17-18 ans qui me lisent depuis le début et maintenant, Léa a leur âge. J’ai envie d’accompagner les jeunes dans cette période, et surtout j’ai la demande.

M.-A. A. : C’est certain qu’on est plus près de la fin que du début. Si tu as encore du fun, allons-y. Par contre, est-ce que l’on parle de l’après Léa ? Oui, on a déjà des projets très solides.

C.G.-A. : Je sais que ça sonne cliché, mais je me rappelle ce qu’India Desjardins m’a dit quand j’ai fait ma première entrevue pour L’ABC des filles : « Mes lectrices, j’ai été les chercher une à une. » C’est le travail que l’on a fait aussi. Dans le fond, c’est un conseil qu’elle m’a donné. Mais, nous, on est allés les chercher littéralement signet par signet, elles m’ont accordé leur confiance. Ce n’est pas quelque chose que je tiens pour acquis.

M.-A. A. : Quand on a commencé, Michel Brulé était le gros joueur. Aujourd’hui, je pense humblement que Les Malins ont une petite place dans le cœur des lecteurs et lectrices québécois. Nos concurrents ne sont pas tant les autres livres que YouTube, la télé, toutes les distractions de la planète, Netflix. La littérature jeunesse québécoise est quelque chose d’assez unique au monde.

C.G.-A. : Quand j’étais jeune, il n’y en avait pas de littérature jeunesse, ça n’existait pas. Il y avait La courte échelle, la collection « Frissons », Marie-Tempête. Je trouve ça génial pour les jeunes d’aujourd’hui. Ce que je trouve dommage par contre, c’est l’idée qu’il y aurait la littérature jeunesse avec un grand « L », les livres qui méritent les prix et les éloges, et la littérature commerciale. Moi, je suis étiquetée « commerciale », parce que je vends chez Costco, que ce que j’écris rejoint les jeunes, et que c’est un succès.

M.-A. A. : On m’a dit vraiment souvent : « Toi, Marc-André, tu es commercial, tu veux vendre tes livres à au moins 3 000 exemplaires. » Quand un artiste passe du Métropolis au Centre Bell, il ne se fera pas bouder par toutes les petites salles du Québec après.

C.G.-A. : Ça, c’est le côté que Marc-André et moi on trouve un peu lourd, dans nos deux rôles, en tant qu’auteure et éditeur.

M.-A. A. : La reconnaissance du milieu littéraire, ça ne me dérange pas. Mais que des gens disent à des auteurs, va pas aux Malins, ils sont trop « commercial », ça me dépasse. Moi, ce qui m’intéresse, ce n’est pas d’être commercial, c’est que mes auteurs puissent se tirer une paye décente de leur travail. Et il n’y a pas 100 000 façons de le faire, faut rejoindre un public.

C.G.-A. : Tous les auteurs rêvent de vivre de leur plume. Sauf que tu ne peux pas en vivre et gagner des prix, moi j’ai mis un X là-dessus, ça n’arrivera pas. La reconnaissance de mon milieu, je ne l’aurai pas, je l’ai des petites filles qui m’attendent dans un salon, qui me racontent leur histoire, ou des mamans qui me disent que j’ai fait lire leur fille. Mais est-ce que, parce que je vends, ce que j’écris est moins bon ? Est-ce qu’on ne le mérite pas, ce succès ?

M.-A. A. : Une de mes grandes fiertés dans mon travail est de faire vivre des auteurs de leur plume. Si tu veux y arriver, ce n’est pas fou d’avoir un éditeur qui rejoint le public, qui comprend comment y parvenir. Depuis quand est-ce un crime de mettre des livres dans les mains des gens ?

C.G.-A. : Depuis quand c’est un crime de vendre ?

M.-A. A. : On ne devient pas un grand lecteur à trente ans par hasard ! Il faut en lire et en acheter des livres ! ♦

Duo Girard Audet

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