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Une poésie de la lumière

Une poésie de la lumière
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Régimbald

C’est le 21 octobre 1999 que j’ai rencontré Diane Régimbald. Les éditions du Noroît avaient organisé une soirée consacrée aux poètes de la relève au café Les Gâteries, à Montréal – ce nom rappellera des souvenirs à plusieurs –, et Paul Bélanger m’avait demandé de présenter les participants et participantes. Ce soir-là, Diane avait lu des extraits de son premier livre, La seconde venue, paru en 1993. Dans mon exemplaire, je retrouve des passages que j’avais alors soulignés et qui ont maintenant une résonance particulière: ils annoncent le parcours de l’autrice. Ne dit-on pas que le premier livre est l’embryon de toute l’œuvre à venir? On y découvre les thèmes qu’elle approfondira ultérieurement: la solitude, le questionnement sur l’identité, les voyages, le lien à l’autre et l’écriture. Ce recueil de l’intime témoigne cependant d’une réelle préoccupation pour l’histoire et le politique, comme dans ces vers: «La voyageuse voit le grand chagrin des peuples / l’impossible cruauté vécue / la fièvre monstrueuse / des pouvoirs». Comment ne pas y déceler, a posteriori, l’intérêt de la poète pour l’engagement, non seulement dans son écriture, mais aussi dans sa vie?

Les décennies ont passé mais, chez Diane Régimbald, la passion de la poésie est restée intacte, et son désir de se mettre en relation avec l’autre et avec le monde n’a fait que croître. Dans son dixième recueil, Au plus clair de la lumière, publié en 2021 au Noroît, qu’elle dédie d’ailleurs à sa fille, l’écrivaine réitère son vibrant appel à s’ouvrir: «Lis le monde lis les livres puise leur force au cœur du silence écoute ce qu’ils inventent». Comme si elle répondait, presque trente ans plus tard, à ces vers de son premier recueil: «J’écris / parce que je suis seule». Car l’écriture permet de sortir de l’isolement, de créer des ponts entre soi et autrui, d’apprivoiser l’existence, de mieux habiter le présent et de rêver l’avenir.

Rêver: ce mot, qui revient tel un leitmotiv chez l’autrice, donne son titre au très beau livre Sur le rêve noir. Dans cette poésie, le rêve tourne parfois au cauchemar, et il faut alors s’arracher à la pesanteur, apprendre à marcher «comme un ange léger sur le rêve noir». Et cet allégement, ce sont les liens qui le favorisent: liens amoureux, liens maternels, liens filiaux, liens d’amitié. Le désir d’une présence est très prégnant dans cette œuvre, et la narratrice tente constamment de tisser une toile qui, loin de l’emprisonner, laisse entrer l’air frais: «J’arrive à respirer plus lentement – s’ouvrent les seuils – ne plus interrompre les flux désamorcer les implosions – mon corps ne retient que la vie».

Les efforts pour s’échapper du noir en combattant les forces négatives en soi trouvent un écho dans Pierres de passage, dans lequel on lit: «La poésie trace une chair / et la nuit sans fin s’ouvre à la lumière».On le constate:  depuis les débuts, il y a une indéniable cohérence dans cette écriture où les mots rappellent la présence du corps, accordent aux sens une place prédominante, laissent entrevoir une sensualité qui atteint un érotisme d’autant plus efficace qu’il est subtil dans Cœur d’orange, publié à L’Atelier des Noyers en 2020: «C’est en rêvant de la chair / de cerises de terre en bol de peau / que Désir s’est offert», écrit la poète pour qui le plaisir, qu’elle sait éphémère, lutte contre l’inquiétude et «la crainte de revenir / à néant».

Dans l’émouvant L’insensée rayonne, la sensualité fait aussi contrepoids aux blessures: «le jour se lève sur les torrents / de ses hanches toujours vivantes». Rester vivante, transmettre à ceux et celles qu’on aime l’appétit de vivre, de chanter, de danser, de rêver, voilà les fondements de cette poésie, qui incite constamment à bouger, à agir, à s’investir. Et non seulement l’écriture le dit, mais elle le met en scène par le rythme, par les répétitions lexicales et les sonorités, et jusque dans l’emploi de l’impératif qui, dans Au plus clair de la lumière, donne au recueil un souffle qui nous emporte dans son élan et fait un pied de nez à une inertie générant la détresse.

La poésie de Diane Régimbald résonne comme un appel à regarder plus loin que soi-même, là où le je tend la main au nous, où les deux pronoms peuvent cheminer ensemble sans perdre leur singularité, là où l’échange devient possible, où le partage dit l’amitié, le rapport amoureux, mais aussi la transmission entre mères et filles, comme en rend compte le recueil De mère encore, publié en 2018 aux éditions du Petit Flou et qui se termine par ces vers poignants: «encore fille d’elle / poursuivre la marche des jours / seule sa tête déposée / sur mon amour».

Marcher, avancer vers la lumière sans se laisser arrêter par la douleur, tout en gardant vivace la mémoire, c’est ce à quoi nous invite l’écriture de Diane Régimbald.

 


Poète et romancière, Louise Dupré a publié près d’une trentaine de titres, qui lui ont mérité de nombreux prix et distinctions. Elle vient de faire paraître le recueil de poésie Exercices de joie, aux éditions du Noroît et aux éditions Bruno Doucey. Elle est membre de l’Académie des lettres du Québec.

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