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Une mauvaise faveur

Une renommée mondiale en arts visuels, des romans à succès, deux films, des apparitions médiatiques fréquentes: la feuille de route de Marc Séguin impressionne. Malheureusement, son premier livre de poésie est un faux pas.

Poésie

Une renommée mondiale en arts visuels, des romans à succès, deux films, des apparitions médiatiques fréquentes: la feuille de route de Marc Séguin impressionne. Malheureusement, son premier livre de poésie est un faux pas.

Écrire d’une sélection de poèmes d’adolescence qu’elle est inégale est non seulement un lieu commun critique mais également une tautologie. Bien sûr que cet entre deux âges est celui des métissages instables. Les constructions du soi y sont d’autant plus difficiles à mettre en place que le pré-adulte ne dispose de presque rien pour se définir. Et donc, pendant un certain temps, le style définit bien souvent le mode de vie et le mode de vie définit le style. Du poncho au perfecto, certains retourneront leur veste plus d’une fois. Pour les écrivains en herbe, il en va de même avec les premières influences: oscillantes, bigarrées et extrêmement visibles.

Il est néanmoins difficile, des années plus tard, de porter des jugements sévères sur nos années de transition. Aussi, dans des élans de nostalgie croisés de fierté, peut-être nous laisserons-nous un jour émouvoir par une boîte de photographies et de textes retrouvés et en publierons-nous des morceaux choisis sur nos pages Facebook ou Instagram. Ce genre d’exercice faussement humble a d’ailleurs donné lieu à un concept plutôt divertissant de lectures, à l’intérêt foncièrement fluctuant, de poésie adolescente sur différentes scènes au Québec, et sans doute ailleurs.

Que les poèmes du jeune Marc Séguin soient inégaux n’étonnera donc personne. Ceux de Denis Vanier, qui a publié Je à seize ans, l’étaient aussi, n’en déplaise aux louanges de Claude Gauvreau, et on peut trouver des défauts aux premiers poèmes du Rimbaud de quinze ans. On conviendra toutefois que l’intérêt historique pour Séguin le poète précoce risque fort de ne jamais se comparer à celui pour Rimbaud ou Vanier.

On aimerait par ailleurs que soit plus étonnante l’opportunité qui nous est offerte de lire les premiers textes de Séguin, rédigés alors qu’il avait entre seize et dix-huit ans, publiés aujourd’hui dans une maison d’édition prestigieuse comme Le Noroît. Or, cyniquement, pourrait-on dire, le fait est platement explicable. Séguin étant Séguin, avec le succès qu’on lui connaît — un succès assez rare, on doit le souligner, lui qui jouit d’une reconnaissance artistique importante et qui est parvenu à rejoindre un public beaucoup plus large avec ses romans qu’avec sa peinture —, on saisit, sur le plan commercial, l’expédience de publier de tels textes.

L’évidente arrogance adolescente

Le jeune Séguin, comme bien d’autres avant et après lui, aime fort, déteste fort et appuie encore plus fort sur les clichés. Son écriture tente de trop nombreux effets — de langage, de forme, de style — et emprunte de trop nombreuses directions que rien ne parvient à lier.

On le retrouve tour à tour intéressé par des exercices d’objectivation du je («JE fuit je»), à la recherche d’une puissance que tout écrivain mature finit invariablement par bannir de son écriture («que plient vos vies sales qui m’accouchent d’un viol»), berné par des jeux sonores rasoirs («creuse caverne cri cachalot/ton cri/accorde la haine à chaque mouton») et inattentif au fait qu’il a déjà écrit le même poème quelques pages (ou moins) plus tôt: «je lèche quand même le cadenas/à moins quarante», suivi de «à moins trente-sept hier matin j’ai sorti la langue et léché la clôture». Ces images m’ont d’ailleurs rappelé cette scène dans Piercing de Larry Tremblay, où la jeune héroïne s’applique ce traitement glacial contre le pont de Chicoutimi, mais que Tremblay avait évidemment tout le talent d’écrire, mais plus encore, y mettait la distance fictionnelle. Curieux comme on ne croit pas l’adolescent qui l’écrit, mais combien on souffre pour l’adolescente fictive. Il y a là une leçon.

Toujours sans surprise, les textes cèdent à une dénonciation convenue et souvent exprimée de manière très laborieuse:

la faute est majoritaire et la faille si large
qu’il n’y a plus de plaisir à s’échapper
trop parmi vous sont poètes et artistes trop
lecteurs et trop spectateurs
dont la profondeur infinie avale
et recrache qui vous êtes
la pataugeuse est bourrée

On a certes affaire à un jeune poète rebelle et enragé («va chier vide pourri»), mais l’affirmation lue en quatrième de couverture à l’effet que ces poèmes «annoncent tant soit peu le peintre» est une regrettable blague. Leur intérêt, s’il en est un, ne peut que tenir à la personnalité médiatisée de l’auteur.
L’éditeur, qui peut considérer Séguin comme un membre de la famille — celui-ci a réalisé l’eau-forte qui orne les recueils de la maison depuis des années —, le laisse ici à lui-même, en plus de lui prêter un écrin mal foutu (la mise en page y est erratique), ce qui est parfaitement inhabituel pour Le Noroît. Que Marc Séguin soit l’artiste respecté et respectable qu’on connaît ne justifie en rien la publication de ce recueil. Ces textes de jeunesse auraient mérité une place muette aux archives nationales pour d’éventuelles recherches, mais dans le catalogue du Noroît, ils font figure de pacotilles qui tromperont les lecteurs mal avisés, et c’est malheureux.♦

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Marc Séguin
Montréal, Le Noroît
2017, 60 p., 15.00 $