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Un jeune homme à la guerre

Un jeune homme à la guerre

L’auteur de L’orangeraie nous revient avec le troublant personnage d’un garçon aux prises avec l’horreur des champs de bataille.

Thématique·s
Poésie

L’auteur de L’orangeraie nous revient avec le troublant personnage d’un garçon aux prises avec l’horreur des champs de bataille.

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Homme de théâtre, romancier, poète : pas étonnant que Larry Tremblay nous offre ici une « histoire » avec des « personnages » ; l’éditeur présente d’ailleurs ce livre comme un récit poétique. Ajoutons que la seconde moitié, « Histoire de l’œil droit », a été à l’origine d’une pièce intitulée Cantate de guerre (Lansman, 2011). Les lecteurs de Tremblay sont aujourd’hui invités à plonger dans un univers intrigant, aux forts accents fantastiques. L’auteur donne vie au personnage avec une grande justesse de ton, si bien qu’à notre tour nous acceptons d’emblée ce pacte de lecture tout à fait improbable.

Ce jeune homme étrange et halluciné sera une proie facile pour le diable, qui est décrit comme une « chose qui dépasse / de toute chose ». La solitude et la déréliction sont peut-être la cause de son inquiétante fragilité ; mais, au fond, on ne sait pas grand-chose de ses origines et on ignore ce qui l’a mis dans cet état. Lui-même semble craindre pour sa santé mentale. Au début, il remplit ses poches « de petits couteaux » et fume des étoiles sous les lampadaires ; il s’abreuve de café « pour grandir plus vite » et va chez le dentiste se faire arracher sept dents. Dans le monde réel, on le jugerait de santé très précaire. Dans la fiction, c’est pire encore : on craint qu’il soit bientôt mort. Or, la beauté du texte nous redonne espoir et confiance. Tremblay, collé à son personnage, le rend crédible et attachant — un peu comme au théâtre, si ce n’est que la poésie ruisselle partout ici. Les vers très courts et habilement découpés, le récit à la première personne, les images justes et fortes, tout cela contribue à la réussite de l’œuvre. Ce jeune homme à la sexualité farouche et solitaire, qui prétend surveiller son dos « au cas où des ailes lui pousseraient », ne déambule pas au milieu de son univers sans prendre de précautions : « J’essaie de tourner / ma tête / vers l’arrière / quitte à perdre / deux ou trois vertèbres ».

Il craint aussi la présence de Dieu, qu’il soupçonne de chercher à mordre sa pomme d’Adam ! Cela ne l’empêche pas de marcher en se déhanchant pour, dit-il, concasser les trottoirs.

Le Diable est partout

Ce garçon à la dense intériorité est surtout conscient que « s’il y a Dieu / il y a Diable ». C’est avec ce Diable qu’un pacte étrange et quasi suicidaire sera signé, qui obligera le signataire à accomplir le Mal « avec tout le Bien disponible ». Certes, il y a là un peu de pensée magique, puisque ce pacte lui permet, d’un clignement d’œil, de changer de sexe, d’identité et d’époque. Il se retrouvera tour à tour dans la peau d’un Noir, d’une femme aux seins rouges, d’un bonze chauve qui sent l’ail. Et ça continue comme ça jusqu’à ce qu’il devienne un soldat « en forme de haine ».

Puis un jour, la machine se détraque, et « l’œil soldat » ne peut plus se fermer. Le garçon reste prisonnier de sa dernière transformation. Ainsi s’achève la première partie du recueil. La seconde partie est plus rapide, violente et syncopée. Elle met en scène toutes les horreurs de la guerre, et l’univers se transforme en « chiure vinasse / marécage / où pourrit la lumière ». On y trouve pourtant les « mots fougères / que la brise / fait tinter ». C’est donc par la langue, par le vocable, par le « mot », qui revient toujours, que le poète construit cette partie du livre : « mot torchon / mot matraque / cueilli dans des crânes ».

Certes, le thème de la guerre a depuis longtemps envahi la littérature, et on aimerait voir défiler autre chose que des cadavres ensanglantés et des machines de mort ; peut-être fallait-il le talent d’un Larry Tremblay pour renouveler un peu le sujet et montrer cet univers sous un angle qui ne relève pas juste des états d’âme d’un auteur. Après tout, dénoncer la violence est la tâche de tout un chacun, et nous n’avons pas à « coudre nos bouches ». Grâce à une poésie qui permet — tout en restant de la stricte poésie — de voir les personnages et de vivre avec eux les événements, le lecteur peut plonger dans l’univers de Tremblay comme s’il se trouvait face à la scène. Surtout, il éprouve beaucoup d’empathie pour le jeune homme, qui se montre à la fois si fort et si vulnérable, si attachant avec ses contradictions, et qui, dans la peau du soldat, prie Dieu de « couper les bras / de ceux qui grimpent / de l’autre côté du mur ». ♦

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Larry Tremblay
Saguenay, La peuplade
2019, 96 p., 19.95 $