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Un appel d'air

Après avoir abordé l’amour et la sexualité, Anne-Marie Olivier consacre une pièce à la naissance, une bouleversante courtepointe de destins qui rend un vibrant hommage à la vie.

Théâtre

Après avoir abordé l’amour et la sexualité, Anne-Marie Olivier consacre une pièce à la naissance, une bouleversante courtepointe de destins qui rend un vibrant hommage à la vie.

En 2014, Atelier 10 publiait Faire l’amour, une pièce construite par Anne-Marie Olivier à partir de témoignages. Il était question, vous l’aurez compris, de sexualité, de désir et d’amour. Des histoires excitantes, réjouissantes, d’autres tristes, certaines choquantes. Cette année, chez le même éditeur, paraît Venir au monde, un texte sur la naissance, encore une fois tissé de confidences que l’auteure a recueillies en sondant ses contemporains, deuxième volet d’un triptyque qui doit se conclure par une pièce à propos de la mort. Véronique Côté, qui a mis en scène les deux opus, explique en préambule: «Les histoires vraies nous ramènent à l’essence de ce qui nous lie. Beauté, amour, douleur. Naissance et mort. Mort et naissance. Comme un couple indivisible, insoluble, irréductible.»

Théâtre choral

Alors que Faire l’amour, suite de scènes plus ou moins dénuées de fil conducteur, ne parvenait pas à s’affranchir de sa nature parcellaire, Venir au monde présente une architecture étoffée, un assemblage des fragments qui s’avère non seulement cohérent, mais aussi inventif. Le récit fédérateur, reliant peu à peu les pièces du puzzle, est captivant jusqu’à la toute fin. Pas de doute, cette fois l’auteure-intervieweuse est parvenue à tirer le meilleur de deux univers en alliant avec soin vérité et fiction, révélation et imagination, histoires intimes et enjeux collectifs. La mosaïque qui en résulte juxtapose le quotidien à l’extraordinaire, la dimension documentaire au fantasme purement théâtral, voire cinématographique. En effet, la structure de la pièce, entrelacement de destins, voyage dans le temps et dans l’espace parcouru d’échos et de contrepoints, évoque celle d’un excellent film choral.

Cette inventivité formelle est faite de nombreuses analepses, et de quelques prolepses, dont découlent des croisements temporels, des moments où le passé et le présent se rencontrent, s’entre-choquent ou se réconcilient, dialoguent puissamment. La séquence de base, c’est l’accident d’Élizabeth, sa violente collision avec un orignal sur la route de Murdochville. La jeune femme en détresse, sur le point d’accoucher, est prisonnière de son véhicule. La première à venir à sa rescousse est Judith, qui compose le 911: «Heille, c’est important d’avoir une mère dansla vie, OK? On peut faire sans, OK. On peut faire sans, mais quand on peut faire avec, c’est mieux. J’ai pas la mèche courte, madame, y’a pus de mèche, y’a le feu.»

Suivront sur les lieux de l’accident: Bob, l’homme des bois, Fannie et Poncho, les pompiers, puis Simone et Martin, les ambulanciers. Pour chacun des protagonistes, l’auteure remonte dans le temps pour nous faire découvrir les conditions de sa venue au monde, nous présenter ses parents, nous révéler ses origines, dépeindre sous quels auspices s’est produite sa naissance. Les retours en arrière, parfois drôles, généralement bouleversants, enrichissent considérablement notre compréhension des personnages, éclairent leur implication émotive dans le sauvetage. On voit peu à peu apparaître une immense toile généalogique, un ouvrage somptueux, sombre et lumineux, tissé de ces fils miraculeux qui relient les mères et les enfants, cordons jamais coupés, jamais vraiment rompus. Certaines adresses aux nouveau-nés vont droit au cœur: «J’te connais pas mais j’t’embrasse. J’te connais pas mais j’te dis «T’es belle». J’te connais pas mais j’te reconnais. Bienvenue. Le monde est de plus en plus fou. Mais t’es pas toute seule. Que ta vie soit aussi fabuleuse que ta naissance.» Ou encore: «Te rejoindre, c’est avoir enfin chaud après avoir marché, transi, dans une tempête glaciale.»

Vie et mort

Alors que le titre invite à parler du miracle de la vie, la pièce accorde une place importante à la mort, ou plus précisément à la fragilité de la vie, à sa valeur inestimable. Il y a la grossesse non désirée, la mort subite du nourrisson, la naissance prématurée, la mort de la mère en couches et celle de la grand-mère au moment même où elle le devient, sans oublier le déchirant sacrifice d’un orignal. Les arrivées sont souvent liées aux départs, la première inspiration des uns, le premier appel d’air, est indissociablement rattachée à la dernière expiration des autres. En somme, comme le disent les parents à l’enfant qui a survécu: «La vie est un accident. Fabuleux. Une suite de collisions. Mais l’important, c’est pas l’accident, c’est ce que tu fais avec.» ♦

Auteur·e·s
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Anne-Marie Olivier
Montréal, Atelier 10
Pièces
2017, 104 p., 13.95 $