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Tu ressembles à Daniel Leblanc-Poirier

Tu ressembles à Daniel Leblanc-Poirier

Seconde livraison d’une trilogie annoncée, Fuck you succède à 911 et continue de faire entendre la petite musique de Daniel Leblanc-Poirier.

Thématique·s
Poésie

Seconde livraison d’une trilogie annoncée, Fuck you succède à 911 et continue de faire entendre la petite musique de Daniel Leblanc-Poirier.

Thématique·s

Depuis 2007, on reconnaît sans difficulté le style de Daniel Leblanc-Poirier à son phrasé unique, tissé d’un surréalisme déroutant mais étrangement intelligible, voire familier, comme si le gourou lysergique Timothy Leary écrivait des ballades western. DLP construit ses poèmes avec tout ce qui lui tombe sous la main et c’est très souvent magnifique :

mais tu es debout
et tu ressembles à une firme
qui signe les papiers de mon érection

tu sais comment cibler
le terrain même de l’organe
et sentir sans effort les gâteaux de
par là-bas
bye bye

Une constante dans l’œuvre de DLP, le poème d’amour et de désir a encore la part belle dans ce recueil intime qui présente, comme dans 911 (L’Hexagone, 2017), une ou des relations amoureuses troublées, souvent empêchées. En arrière-plan, la dépendance aux opioïdes — annoncée frontalement en quatrième de couverture et suggérée par touches ici et là dans le livre — agit comme élément éminemment perturbateur au cœur ou au pourtour de ces relations. Or, ce fil thématique, puissant et spectaculaire, n’est pas aussi central qu’on aurait pu l’imaginer, même si certaines de ses manifestations sont bouleversantes : « des oiseaux narcotiques / picorent à mon bras / c’est normal ne pleure pas / c’est la moisson de l’enfance […] ».

Ce fil assez ténu engendre une relative perplexité quant à l’organisation du propos. La suite assez brève d’environ cinquante poèmes est interrompue par seulement quelques citations de poètes acadiens, comme autant de chansons captées sur les ondes, auxquelles l’auteur s’identifie. La trame apparaît instable, l’effet étonnant des textes s’amenuise en cours de lecture et on a l’impression que le livre se cherche, particulièrement dans le dernier tiers.

Toi-même

On avance donc à tâtons, goûtant la manière sucrée-salée si caractéristique du poète et s’étonnant de ses trouvailles conglomérées (« les pains à hot dog / de tes sourcils »), mais les facilités s’y accumulent tristement, à force d’évidences contemporaines mal dégrossies : « les territoires non-cédés de notre faim », « je voudrais télécharger ta blessure », « des hashtags de ton amour ». On s’impatientera devant ce qui apparaît comme un manque de sérieux, provoquant jusqu’à l’exaspération dans des passages franchement puérils comme celui-ci : « vagin vagin / crottée ta guitare / elle me rase / je suis comblé / vagin vagin / graine ».

Enfin, des gags répétés non seulement dans ce recueil, mais aussi auparavant, ont émoussé mon envie de découvrir du nouveau DLP : on connaissait déjà le « je niaise » et son dérivé « non c’est une blague », même chose pour les solos de guitares / drums qui, de mémoire peut-être lacunaire, reviennent couramment dans son travail. On ne peut qu’imaginer que l’auteur l’assume pleinement ; quant aux lecteurs, tout dépendra des sensibilités. On pourra me reprocher de manquer d’humour, je n’en disconviendrai pas. Mais je pose la question : un livre avec un tel titre peut-il se permettre d’être échevelé ?

Il faut dire que mon niveau d’exigence est nettement plus élevé devant le cinquième recueil d’un écrivain d’une pertinence indéniable — auteur, de surcroît, de l’inoubliable Gyrophares de danse parfaite (L’Écrou, 2010), où l’ingéniosité du poète se laissait découvrir au fil d’un roadtrip étourdissant. Fuck you semble certainement un peu pâle à côté de la fulgurance de ce classique sémillant, mais, en toute honnêteté, il n’est pas question ici d’un mauvais recueil. Au contraire, même un ouvrage moyen de DLP fait paraître bien tièdes nombre de nouvelles voix, fraîches mais aux moyens poétiques limités.

L’art de DLP repose sur un fragile équilibre entre spontanéité et péril, et les meilleurs moments de son écriture surviennent lorsque le texte explose d’images et de couleurs tout en se chiffonnant sur lui-même, une manière fascinante de revenir à l’essentiel, souvent aussi inattendu qu’insaisissable. Fuck you regorge de ces petites épiphanies, mais le poisson y semble parfois noyé. On attendra néanmoins avec impatience le tome final de cette trilogie, avec l’espoir qu’il saura resserrer l’ensemble et que l’auteur, en concentrant son propos, nous éblouira de nouveau avec sa façon inimitable de « faire un petit cœur de patates pilées » qu’on appelle poème. ♦

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Daniel Leblanc-Poirier
Montréal, L'hexagone
2019, 64 p., 19.95 $