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Sans fausse note

Assister à un concert est toujours un événement particulier pour l’amateur de musique. Plaisir, surprise, déception, malaise: tout peut arriver.

Bande dessinée

Assister à un concert est toujours un événement particulier pour l’amateur de musique. Plaisir, surprise, déception, malaise: tout peut arriver.

Il n’a pas dû être facile pour les quatre auteurs de concevoir cet album. En effet, comment conserver le style de chacun tout en préservant la cohérence dans le récit? Ils y parviennent toutefois brillamment en s’adaptant l’un à l’autre. Le dessin de Jimmy Beaulieu, pilier de la «nouvelle» bande dessinée québécoise, est quand même assez éloigné esthétiquement de celui de Sophie Bédard, autrice des quatre tomes de Glorieux printemps (Pow Pow, 2012 — 2014). L’esthétique de Vincent Giard, coauteur du superbe album Les pièces détachées (La mauvaise tête, 2013), se moule aisément aux illustrations de ses comparses, même chose pour le dessinateur français Singeon. L’histoire, quant à elle, reste assez simple: quatre personnages se retrouvent à la salle de spectacle la Sala Rossa à Montréal pour assister à un concert du groupe rock montréalais The Solids. Leurs chemins se croiseront…peut-être. Les dessinateurs se renvoient la balle, l’un dessine deux ou trois planches, l’autre une ou deux autres, et ainsi de suite.

La force des personnages

Outre la gymnastique qu’ont dû effectuer les auteurs pour arriver à amalgamer leurs styles, la grande réussite de cet album réside dans la façon dont la trame nous est racontée. Et si ce récit parvient à nous intéresser, c’est beaucoup par ses quatre personnages. Quiconque a lu les albums d’autofiction de Jimmy Beaulieu le reconnaîtra dans l’alter ego qu’il dessine ici. Amateur et connaisseur de musique, assister à un concert devient une expérience quasi spirituelle pour le héros de Jimmy. Dans la tête du personnage de Sophie Bédard, Marie-Éponge, le spectacle s’avère le lieu de prédilection pour un premier rendez-vous (totalement raté). Cette Marie-Éponge est de loin le personnage le plus fascinant de l’œuvre, ses névroses et son manque de confiance en elle charment le lecteur tout autant qu’ils l’énervent. Son honnêteté transcende notre exaspération. Stan, le rocker de petite taille dessiné par Singeon, exploite le cliché «sexe, drogues et rock and roll», s’appuyant davantage sur la drogue, qu’il appelle la «magie». Il s’alliera à Douille, création de Vincent Giard, un genre de grande amazone dégourdie, qui semble n’avoir pas froid aux yeux.

L’histoire commence bien avant le concert, alors que Jimmy cherche un stationnement pour sa voiture. Bien entendu, la tâche s’avère ardue et la patience de Jimmy a ses limites. Pendant ce temps, Marie-Éponge attend son prétendant, le cerveau en ébullition, ses pensées sautant du coq à l’âne. Sophie Bédard rend son personnage extrêmement attachant, à la fois dans sa manière de la tracer et dans ses dialogues. De petite taille, avec sa robe blanche à pois bleus et ses lunettes, Marie-Éponge séduit par sa candeur. Et quand son rendez-vous la plante là, sûrement étourdi par le flot de ses paroles, on comprend le pauvre homme tout en ayant pitié de la jeune femme. Heureusement pour elle, dans la foule, elle aperçoit Douille qui, selon ses souvenirs, avait fréquenté le même camp de vacances qu’elle à l’adolescence. Douille et Stan, sous l’emprise de la «magie», sont plus qu’heureux de trouver une nouvelle amie.

En avant la musique

Jimmy le puriste ne comprend pas pourquoi des gens parlent pendant les concerts. Il se trouve à la fois pathétique et trop vieux pour assister à des spectacles de jeunes groupes. Pourtant, sa passion pour la musique reste plus forte que la peur du ridicule. La façon dont il décrit l’effet que lui procure l’art en général montre toute la sensibilité du personnage. Le lecteur s’amusera de voir Jimmy debout se plaignant d’un mal d’orteil, se demandant s’il s’agit d’un de ces maux de l’âge, qu’il traînera maintenant comme un boulet. Il est tout aussi drôle lorsqu’au kiosque de t-shirts à la sortie de la salle, il n’en trouve aucun à sa taille. Il se rabattra finalement sur un 45 tours qu’il ira écouter chez lui, finissant la soirée en beauté, l’étirant jusqu’à l’aube, sous des teintes orangées. C’est d’ailleurs en orange et en bleu que sont colorées toutes les planches de l’album, formant ainsi une unité chromatique entre les différents styles des auteurs. Très chouette et jolie idée.

Stan, Marie-Éponge et Douille se retrouveront, quant à eux, devant la traditionnelle poutine de fin de soirée, qui est peut-être le commencement de quelque chose, comme le dit Stan. Une fin de nuit rock and roll pour un album qui l’est tout autant, comme quoi certaines virées restent gravées dans la mémoire. ♦

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Jimmy Beaulieu, Sophie Bédard, Vincent Giard, Singeon
Montréal, La mauvaise tête
2018, 96 p., 24.95 $