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Retrouver ses enfances

Si l’on veut faire lire les jeunes et les adolescents, il faut leur offrir des voix sincères et des ouvrages de qualité, défendent l’auteur Simon Boulerice et l’éditeur Maxime Mongeon.

Dossier

Si l’on veut faire lire les jeunes et les adolescents, il faut leur offrir des voix sincères et des ouvrages de qualité, défendent l’auteur Simon Boulerice et l’éditeur Maxime Mongeon.

Annabelle Moreau : Comment êtes-vous arrivés à écrire et éditer de la littérature jeunesse ?

Simon Boulerice : J’ai interrompu mes études universitaires pour aller étudier en théâtre. À l’époque, j’avais le désir étrange d’être entouré de comédiens — que je trouvais drôles et captivants —, beaucoup plus que l’envie de devenir comédien moi-même. Mais au bout de quatre ans en interprétation théâtrale, je me sentais à ma place sur scène, même si mes premières amours ont toujours été l’écriture. À ma sortie de l’école, ayant un jeu et une allure spécialement juvéniles, j’ai auditionné pour jouer un enfant de neuf ans dans une pièce jeune public. J’ai décroché le rôle, mais j’étais absolument tétanisé à l’idée de faire des rencontres et des discussions avec ce public après les représentations. Je ne côtoyais alors aucun enfant, et j’ignorais comment m’adresser à eux. J’ai donc eu le réflexe de leur parler comme je parle à tout le monde. Je ne me suis pas vraiment ajusté ; mon humour, mon débit, mon maniérisme, tout a été fidèle à ce que je suis. Et j’ai réalisé que ça circulait entre ce public et moi. Surtout parce que j’étais absolument moi-même. Ayant trouvé les enfants généralement vifs, ouverts et allumés, j’ai eu le désir d’écrire pour eux. Mais je dois préciser que j’avais une prédisposition : j’ai toujours eu l’enfance et l’adolescence à fleur de peau. Ma jeunesse est tout près. C’est facile pour moi de retrouver mes enfances. Au pluriel, oui. Car elles sont multiples et changeantes, comme nous tous sans doute.

Duo Boulerice Mongeon

Maxime Mongeon : Au début, j’ai publié des romans pour adultes chez Leméac. J’avais été professeur de français au secondaire et directeur d’école. Jean Barbe occupait les fonctions de directeur de l’éditorial chez Leméac et il m’avait demandé mon avis sur un manuscrit de Jean-François Sénéchal. De fil en aiguille, il m’a demandé de démarrer une collection jeunesse. On s’est réunis pour tracer une ligne éditoriale, mais… on s’est vite entendus pour dire qu’il n’y en aurait pas et que je publierais simplement les textes dont l’écriture nous laissait croire qu’on était en présence d’un écrivain ou d’une écrivaine. Que ce soit un roman d’aventures ou intimiste, une plaquette ou une brique, etc.

A.M. : Comment écrit-on aux jeunes ? En quoi est-ce différent d’écrire et d’éditer pour les adultes ?

S.B. : Mon seul mot d’ordre, lorsque j’écris, c’est la sincérité. Même dans l’invention la plus totale, la sincérité est de mise. Alors quand une idée d’histoire s’impose à moi, je veille à être mon propre baromètre, en ce qui a trait à mes personnages qui se dessinent peu à peu. Est-ce qu’à sept, dix, quatorze ou dix-sept ans, je voyais la vie ainsi ? Est-ce que je concevais ça ? Est-ce que je ressentais ça ? Et tant mieux si ce n’est pas glorieux. La seule chose qui me guide, c’est ma sincérité, et mon empathie, qui me lie au personnage que je bâtis. Par conséquent, non, il y a peu de différences, voire pas du tout. Je m’ajuste non pas à mon lectorat, mais bien à mon personnage, lui qui me tend la main — ou me la tire — dans ce projet inédit.

M.M. : Je ne suis pas de ceux qui suggèrent aux écrivain·es de s’adapter aux jeunes, que ce soit au point de vue de la langue ou du contenu. Les jeunes ont cette sensibilité, comme les adultes, qui les rend capables d’apprécier une voix lorsqu’ils en rencontrent une. En ce qui me concerne, en tant qu’éditeur, je suis là pour exercer ma subjectivité. Et je vous avoue que c’est pratiquement sur ce seul critère que je retiens un texte. Suis-je en présence d’une voix, d’une écriture ? Si oui, le travail commence.

A.M. : Pourquoi ne fait-on pas lire des romans « adultes » aux enfants et aux adolescents, quelle est la nécessité d’une « littérature jeunesse » ?

S.B. : Je ne serai jamais contre le fait que des ados lisent des romans adultes. Bien au contraire. Cependant, il serait illusoire de croire que tous les ados se tournent naturellement vers ce type de littérature, dans lequel les enjeux ne les concernent pas toujours. Les lectrices et lecteurs adolescents ont besoin d’identification, et se transposer dans un personnage qui a sensiblement leur âge — ou un peu plus —, ou qui vit des bouleversements susceptibles de résonner en eux, c’est un atout pour les captiver tout particulièrement.

M.M. : Tout d’abord, on fait lire des romans adultes aux ados. C’est parfait ainsi. La littérature jeunesse plus spécialement destinée aux ados se distingue essentiellement par le fait qu’elle met en scène des personnages d’adolescents. Je constate d’ailleurs que plusieurs romans de la collection jeunesse de Leméac sont lus par des adultes, car l’écriture est au rendez-vous, et qu’en tant qu’adultes nous aimons lire des romans qui évoquent toutes les périodes de notre vie, que ce soit l’enfance, l’adolescence…

S.B. : Dominique Demers a cette très belle image : aller cueillir l’enfant lecteur, puis l’ado lecteur. Donc se mettre à sa hauteur. Ça me plaît. Mais en même temps, j’aime me dire que le jeune lecteur a la liberté totale de lire ce qui l’intéresse ; il peut tendre le bras vers les livres hors d’atteinte dès qu’il le désire. Il ne faut pas protéger un ado dans ses lectures. Car protéger, c’est censurer. Laissons-le découvrir les livres qu’il veut, mais mettons à sa disposition des livres capables de cerner les troubles qu’il vit. Je précise par contre ici : un livre jeunesse n’est pas qu’un livre de transition, avant le livre adulte. C’est de la littérature à part entière, du moment que c’est une œuvre conçue avec rigueur et sensibilité, et avec ce petit supplément d’âme.

M.M. : Ce qui me plaît avec cette littérature spécialisée, c’est qu’elle est organisée. Il existe un réseau pour la littérature jeunesse avec des maisons d’édition, des collections, des critiques spécialisés, des activités dans les bibliothèques municipales et scolaires, etc. Ainsi, cette littérature jeunesse s’assure d’offrir aux ados des textes susceptibles de les toucher. Elle facilite la vie aux parents et aux enseignant·es qui désirent favoriser la lecture chez les jeunes. La force de la littérature jeunesse est son accessibilité, et ce, autant grâce aux livres édités que grâce aux rencontres d’écrivain·es qui sont organisées dans les bibliothèques et les écoles.

A.M. : Qu’y a-t-il de « littéraire » dans la littérature jeunesse ?

S.B. : Est-ce que la valeur esthétique des livres jeunesse peut avoir la même force d’impact que celle de la littérature pour adultes ? Je suis convaincu que oui. Il est possible de faire de l’orfèvrerie à partir de n’importe quels thèmes : suffit d’y mettre de l’attention, de la finition, de l’inspiration. Ce qui est littéraire pour moi, c’est le peaufinage de la langue, sa cohérence comme ses trouvailles. Écrire pour la jeunesse, en rien, n’empêche cela. La porte est grande ouverte pour les métaphores, pour les images fulgurantes, pour un certain lyrisme aussi. Des ados peuvent y être allergiques, alors que d’autres y sont fort sensibles. Le pari que je fais quand j’écris pour ce lectorat-là, c’est d’être sincère, comme je disais plus haut. Et ma sincérité m’amène à vouloir élever une écriture anecdotique, à magnifier la typique écriture de journal intime.

M.M. : L’écriture !

A.M. : Peut-on parler de tout ? Comment le faire ?

S.B. : À mon avis, oui, on peut parler de tout, même qu’on doit parler de tout. Je vais être gossant avec ça, mais la seule méthode possible, c’est la sincérité. Les personnages adolescents fournissent des armes magnifiques aux auteurs : ils sont en pleine construction, en pleine quête identitaire, en pleine mutation. Le désir s’installe souvent en eux, bouleverse leur quiétude. Leurs émois sont réels. Il y a de l’absolu, de la dérision, et du tragique dans cet âge ingrat capable de grâce. Dans Jeanne Moreau a le sourire à l’envers (2013), j’ai décrit les masturbations — écologiques ! — de mon antihéros sans aucune gêne, en montrant en filigrane l’anorexie de son grand frère ; dans L’enfant mascara (2016), j’ai braqué un projecteur sur les désirs multiples — dont sexuels — d’une ado trans assassinée le jour de la Saint-Valentin en 2007 ; dans Je t’aime beaucoup cependant (2018), j’ai exposé le vertige d’une rupture amoureuse, pourtant moins violente que la peine d’amitié que ma narratrice vit simultanément. Tous les thèmes sont possibles, mais ils exigent tous du doigté, du respect et… gosh que je m’excuse… de la sincérité.

M.M. : Absolument. L’écriture obéit à sa propre logique et la vigilance de l’auteur et de l’éditeur est peut-être de ne pas contrevenir à cette logique. Ainsi, il m’est arrivé, avec Simon, de considérer un de ses manuscrits comme étant, au bout du compte, un roman qui se destinait mieux aux adultes. C’est le cas de Javotte et de Le premier qui rira que nous avons publiés dans la collection blanche, dite pour adultes. En cours d’écriture, nous ne savions pas si le texte serait pour ados ou pour adultes. Bien sûr, les ados ont pu lire ces deux romans-là comme ils lisent d’autres romans pour adultes. Cela dit, il y a dans un texte adulte ou jeunesse une maturité qui relève de l’expérience. À la lecture, l’éditeur est capable de juger de sa résonance auprès des jeunes. ♦

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