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Regarder le monde qui regarde le monde brûler

Regarder le monde qui regarde le monde brûler
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Éditorial
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Qui n’a pas rêvé que l’année 2020 se termine plus tôt que prévu? Qui n’a pas songé à se construire une maison rustique sous les pins et à cultiver des tomates ancestrales, plutôt que d’être enchaîné·e à son salon jusqu’en 2023? Dix mois après le début de cette pandémie, que reste-t-il à en dire, alors que Donald Trump a failli remporter l’élection chez nos voisins du sud, que la moitié de la planète est en train de revivre un confinement plus strict que celui du printemps et que la fin de toute cette crise sanitaire n’est pas en vue?

Ce numéro sur la dystopie a germé dans nos esprits avant que Wuhan ne devienne célèbre pour ses laboratoires, mais il a rapidement pris un tragique tournant réaliste. Le couple en couverture, regardant de près ou de loin le monde se déchaîner, évoque notre futur proche. «Chaque génération donne chair à ses peurs», écrit Jean-Louis Trudel dans l’article qui ouvre ce dossier. Sa rétrospective historique confirme que les dystopies ne sont pas nouvelles en littérature québécoise. Les obstacles non plus, d’ailleurs, mais cette fois, Ariane Gélinas et moi «dystopons1.» devant la tâche. Cependant, c’est elle l’oracle qui, il y a quelques années, m’avait proposé un numéro de LQ sur les littératures de l’imaginaire.

Les dystopies sont ainsi pour LQ les nouveaux territoires anxiogènes, acides, à investir. Bien qu’Ariane Gélinas soit critique de ces genres à notre magazine depuis 2017, ce dossier m’a permis de bien comprendre comment la science-fiction était et demeure ancrée dans notre littérature. Comment ceux et celles qui auraient voulu la cantonner aux marges ne peuvent plus ignorer les légions qui en achètent, en lisent, en publient ou la commentent. À l’évidence, les succès venus de l’étranger ont eu des effets positifs, mais les écrivain·es québécois·es et franco-canadien·nes ont su, à leur manière – avec leurs influences et leurs cultures propres –, créer une science-fiction originale et des dystopies éclairantes, notamment dans les années 1970, âge d’or du genre au Québec. Depuis, une nouvelle génération d’auteur·rices et d’éditeur·rices ont réinvesti le sujet pour en faire une matière aussi actuelle que pertinente. Mais nous ne savons toujours pas si c’est le monde qui influe sur la littérature ou le contraire… La corrélation est manifeste à la lecture des contributions.

J’aimerais saluer ceux et celles qui ont éclairé pour LQ les coins d’ombre dystopiques et collaboré à ce dossier: Jean-Michel Berthiaume, Virginie Fournier, Ariane Gélinas, Mathieu Lauzon-Dics, Jean-Louis Trudel et Élisabeth Vonarburg. Pour aller jusqu’au bout, nous avons souhaité que le cahier Création laisse place à des œuvres dystopiques. Ainsi, nous vous offrons une nouvelle de J.D. Kurtness, une suite poétique d’Isabelle Gaudet-Labine et une lecture illustrée de D. Mathieu Cassendo. Il me reste enfin à adresser un énorme merci à China Marsot-Wood pour les collages vert acier de ce numéro, qui invitent à des rêveries tantôt acides, tantôt sensibles.

Un balado animé par Dominic Tardif a aussi été enregistré avec Ariane Gélinas et l’autrice et éditrice Fanie Demeule. Ces personnes brillantes connaissent leur sujet; pour poursuivre les rêveries dystopiques, rendez-vous sur notre site, où vous pourrez également consulter des suggestions de lectures. Noël approche, et offrir une vision alternative du monde à un être cher, même s’il est physiquement loin de nous, c’est une belle attention, pourvu que les librairies indépendantes restent ouvertes.

Je termine cet éditorial en soulignant l’arrivée dans nos pages de l’écrivaine Mélikah Abdelmoumen. Sa chronique «Ne pas se taire» fait se rencontrer littérature et politique. Vous pourrez également lire à nouveau Maïté Snauwaert, dans la section critique essai. Rebienvenue, Maïté: ton regard fin nous avait manqué. J’aimerais enfin remercier Rachel McCrum, qui signe le texte «Je retourne chez moi, me rappeler comment lire», qui raconte un périple dans son Irlande natale et m’a tiré des larmes de beauté.

Je vous souhaite que cette année 2020 se termine mieux qu’elle n’a commencé et vous laisse sur ses paroles de l’écrivaine et éditrice Christiane Vadnais: «La littérature n’est pas qu’une fabulation: en la mettant en circulation, on en fait une force agissant sur la psyché collective.» Espérons qu’elle se fasse prophétesse.

  • 1. Voir ouverture du dossier, p. 5.
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