Redécouvrir le général Montcalm

Le 13 septembre 1759 est une date symbolique. Celle d’une défaite rendue épique par ses conséquences historiques, soit la conquête de Québec, puis de Montréal, par les armées britanniques dans le contexte de la guerre de Sept Ans (1756-1763). Si cette histoire a été largement traitée par l’historiographie québécoise, canadienne-anglaise, britannique et française, le cas du général Montcalm, lui, semble avoir été figé assez rapidement dans quelques clichés. C’est dans cette volonté de nous faire découvrir ou redécouvrir le marquis, au-delà des préjugés tenaces, que l’historien et journaliste au Devoir Dave Noël a décidé de lui dédier un imposant essai.

En remontant le fil historiographique consacré à cet important personnage de l’histoire canadienne-française et à travers lui,
aux visions de la guerre qui a changé l’histoire de l’Amérique, Dave Noël nous offre une relecture nuancée et rigoureuse, nécessaire dans le contexte actuel des révisions de l’histoire de la Nouvelle-France.

Replonger au cœur de la guerre de Sept Ans

En matière d’organisation, ce livre se veut traditionnel, en ce sens qu’il suit une ligne chronologique permettant au lecteur de vivre les moments charnières de la guerre de 1756-1763, en suivant Montcalm. Avant de plonger dans la grande histoire cependant, l’historien fait un retour sur les portraits du marquis au fil des siècles, en prenant le soin de s’attarder quelque peu à la transmission orale. «Au-delà des commémorations, le souvenir de Montcalm est assuré par la tradition orale. Les chansons populaires composées par ses soldats circulent encore dans la vallée du Saint-Laurent au début du xixesiècle.»

Dans une écriture plus proche du roman que de l’essai théorique, l’auteur nous fait commencer notre périple en 1756, alors que Louis-Joseph, marquis de Montcalm, arrive en Nouvelle-France pour prendre le commandement des troupes françaises. Sans jamais perdre de vue le général, nous glissons également vers le contexte sociopolitique, militaire et économique de cette époque, de même que vers l’histoire d’autres personnages importants, comme le gouverneur Vaudreuil.

Pour nous aider à bien comprendre la réalité du monde dans lequel baigne Montcalm à partir de 1756, des diagrammes et des cartes géographiques viennent appuyer le propos à quelques endroits stratégiques au fil du récit. Nous suivons ainsi ses premières batailles et victoires, notamment celles de Carillon, de Fort Oswego et de Fort William Henry, et voyons de plus près la réalité de gestion des troupes par le général français. En effet, ces troupes mélangeaient à la fois des Français, des Canadiens français et des Amérindiens, qui ont été plus difficiles à mobiliser et conséquemment à organiser du point de vue tactique.

Si les deux premières années sont victorieuses pour Montcalm, le vent tourne à l’été 1759 avec l’arrivée de nouvelles troupes britanniques menées par James Wolfe, et d’une importante flotte sur le fleuve Saint-Laurent. Bien que cet épisode ait été raconté à maintes reprises depuis plus de deux cent cinquante ans, l’historien fait ici son travail en retournant aux sources afin de dépoussiérer le portrait de Montcalm dans le cadre de ce qui allait devenir une triste et célèbre défaite. Ce récit des réflexions, réactions et actions du général permet de l’humaniser, ce qui manque souvent à son historiographie, et nous amène à mieux saisir quel type de commandant il était pour l’époque.

Montcalm veut lancer une grande offensive contre les troupes de Wolfe en passant par les gués de la Montmorency. Au soir du 9juillet, il écrit à Lévis pour lui proposer deux ordres de bataille. Le premier consisterait à attaquer rapidement avec les guerriers et les volontaires soutenus par les miliciens montréalais. Le second projet prévoit la concentration de la quasi-totalité des forces de camp de Beauport sur la Montmorency […].

La mythique bataille des Plaines nous est décrite avec rigueur et détails, nous donnant l’impression de la vivre en direct. Un style d’écriture digne d’un roman pour un essai historique, qui parvient toutefois à nous émouvoir au moment crucial de la défaite et de ses conséquences pour l’année suivante.

Voilà donc un livre important pour remettre à jour nos connaissances, au gré des données les plus récentes, à propos de la guerre de Sept Ans en Amérique et surtout du général qu’a été Montcalm. On y découvre un homme réfléchi, tacticien et somme toute humain, qui n’a pu échapper à son tragique destin. L’étude nous permet aussi de voir la relation entre Vaudreuil et Montcalm sous un nouveau jour, ce qui est probablement une des plus grandes forces de cet essai. Un petit bémol s’impose pourtant quant à cette grande saga de Dave Noël. Après avoir suivi Montcalm sur plus de deux cent cinquante pages dans un style qui rappelle l’épopée, l’auteur passe sur la mort du général un peu rapidement et avec peut-être moins de chaleur que ce à quoi on aurait pu s’attendre, après avoir suivi ses combats depuis son arrivée en Nouvelle-France. ♦