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Pour saluer une grande dame

La publication de Anne Hébert, vivre pour écrire, une biographie présentée par Marie-Andrée Lamontagne, donne une belle occasion de se tourner vers cette grande autrice que l’actualité oublie souvent malheureusement.

Chronique délinquante

La publication de Anne Hébert, vivre pour écrire, une biographie présentée par Marie-Andrée Lamontagne, donne une belle occasion de se tourner vers cette grande autrice que l’actualité oublie souvent malheureusement.

Paré Hébert

La lecture de cet ouvrage imposant (cinq cent soixante pages) permet de suivre Anne Hébert de sa naissance en 1916 à sa mort en l’an 2000. Une aventure qui m’a donné envie de revoir son œuvre, ses romans et sa poésie que j’ai découverts au hasard des jours. Madame Hébert s’est démarquée à une époque où il était difficile de faire sa place, surtout pour une femme. Les écrivains et les écrivaines étaient rarissimes dans ce Québec qui tentait de secouer ses carcans religieux et qui s’épuisait dans les derniers soubresauts du régime de Maurice Duplessis.

J’ai déjà parlé de mon contact avec Le torrent à mon arrivée à Montréal en 1966, de cette rencontre brutale qui m’avait à la fois déstabilisé et fasciné dans un cours dispensé par un Paul Chamberland encore tout barbouillé de ses études universitaires.

La relecture du premier roman d’Hébert, Les chambres de bois, s’est imposée avec la parution de sa biographie. Je n’avais que douze ans en 1958 et ignorais tout alors des livres même si les histoires me titillaient et que je ne me lassais jamais des inventions de mes oncles et de nos voisins.

En 1958, nous sommes un an avant la publication de La belle bête de Marie-Claire Blais, une écrivaine qui marquera elle aussi son époque. C’est l’année de la parution d’Agaguk d’Yves Thériault, un récit nordique qui collera à son auteur et le propulsera sur la scène internationale.

C’est le début de Marie-Didace, un téléroman connu de Radio-Canada, écrit par Germaine Guèvremont. Une suite si l’on veut aux cent trente-huit épisodes du Survenant diffusés de 1954 à 1957.

C’est également la présentation de la pièce Le temps des lilas de Marcel Dubé au Théâtre du Nouveau Monde. Anne Hébert reçoit le prix Ludger-Duvernay la même année. Michel Louvain, sur scène et à la radio, fait un succès de Lison, il faut nous séparer. Rina Kitty est aussi fort populaire.

Premier roman

Les chambres de bois raconte une histoire étrange, celle de deux femmes et d’un homme vivant dans un appartement,
une atmosphère étouffante et maladive. Les trois n’arrivent pas à secouer la fatalité qui leur colle à la peau et qui les possède comme une tare génétique. Ce n’est pas sans rappeler Contes pour un homme seul d’Yves Thériault paru dix ans auparavant.

Nous sommes à Paris, je crois, même si le lieu n’est jamais nommé. Un appartement bourgeois avec la fuite de Catherine dans le Sud, certainement à Menton, sur les rives de la Méditerranée, lieu où Anne Hébert séjournera pendant des années. Catherine et Michel forment un couple désassorti qui n’en a jamais été un. Lia et son frère sont incapables de s’affirmer loin l’un de l’autre, possédés qu’ils sont par un amour obsessionnel, incestueux qui n’ira pas jusqu’aux contacts physiques. Le prénom de Catherine n’est pas innocent non plus. Je pense à Sainte-Catherine-de-Fossambault où Anne Hébert est née et où elle a séjourné à maintes reprises, vivant dans une chambre lors de la longue réclusion où elle a combattu une maladie qui s’est avérée un faux diagnostic du médecin. Lieu d’enfermement, d’attente et de rêves.

Catherine vit une forme d’endormissement qui fait qu’elle devient évanescente, transparente presque jusqu’au jour où elle fuit au soleil, retrouve l’espace et le regard d’un homme. Beaucoup de commentateurs ont fait le lien entre la réclusion de Catherine et celle de l’autrice au Québec, son départ pour la France et l’apprentissage de l’autonomie et de sa vocation d’écrivaine.

Nous retrouvons ici les grands thèmes qui hanteront l’œuvre d’Anne Hébert, particulièrement Les fous de Bassan qui paraît en 1982. L’enferment dans un village, quelque part près de la mer et d’un fleuve, les amours violents, meurtriers qui provoquent la fuite et la mort. Les passions maudites aussi de Kamouraska publié en 1970 et dont Claude Jutra tirera un film en 1973.

Expérience

Expérience un peu étrange que de relire Les chambres de bois, que de s’attarder à ce trio plus conceptuel que fait de chair et de sang. Michel, un musicien, n’approche sa femme Catherine qu’en trahissant sa sœur Lia, la noire, la sombre qui porte le soufre et la fumée de ses cigarettes, la passionnée qui revient amochée de ses fuites, comme un chat de ruelle qui a dû se battre contre le monde entier.

L’incommunicabilité chez Anne Hébert est fascinante. L’incapacité si typique des Québécois à secouer les mots pour dire les frustrations et les émotions. Stevens grogne dans Les fous de Bassan, ne peut que tuer ceux qu’il aime. J’ai pensé bien sûr à Des souris et des hommes de John Steinbeck paru en 1937. Lennie Small n’a pas de mots et provoque des catastrophes. Tout comme Nicole Houde reprendra l’allégorie dans La maison du remous. Gertrude, un peu attardée, cache des souris dans un placard et finit par les étouffer.

La passion pousse toujours vers la mort chez les contemporains d’Anne Hébert, dans les premières œuvres de Marie Claire Blais ou dans les romans d’Yves Thériault. Difficile d’échapper aux grands archétypes et de les plier à sa manière et son regard.

Les chambres de bois offre des moments de fulgurance, d’une beauté d’écriture émouvante, d’une justesse qui m’a souvent coupé le souffle. C’est tout l’art d’Anne Hébert que l’on retrouve dans ce premier ouvrage qui reste actuel.

Paré Hébert


Photos: Archives de l’Université de Sherbrooke, fonds Anne Hébert.
Auteur·e·s
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Auteur
Article au format PDF
Marie-Andrée Lamontagne
Montréal, Boréal
2019, 504 p., 39.95 $
Anne Hébert
Paris, Seuil
Points
1996, 190 p., 13.95 $