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Positions de pouvoir

La première pièce de Nadia Girard Eddahia aborde le thème de l’agression sexuelle et observe ce qui se passe du côté de la défense.

Thématique·s
Théâtre

La première pièce de Nadia Girard Eddahia aborde le thème de l’agression sexuelle et observe ce qui se passe du côté de la défense.

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En s’inspirant des différentes affaires d’agressions sexuelles survenues dans les milieux de l’humour, de la télévision et de la musique au cours des dernières années, Nadia Girard Eddahia a donné naissance à une œuvre dramatique qui nous entraîne du côté de l’agresseur présumé. Ce texte propose un point de vue original, un angle inusité qui n’empêche jamais l’autrice de dresser un portrait nuancé de plusieurs enjeux.

Créée en avril 2022 à Premier Acte, à Québec, la pièce, publiée à L’Instant même, met en scène trois personnages dans deux lieux, la maison de banlieue de la mère, où le fils a été élevé, et le bureau de l’avocate au centre-ville. Animateur vedette à la radio, auteur d’un livre à succès, considéré comme un «dieu» dans son domaine, l’homme est poursuivi par plusieurs jeunes femmes pour des comportements sexuels inappropriés et violents. S’il s’installe chez sa mère, c’est pour respecter l’une des conditions de sa remise en liberté.

Exposer les rouages

Dès les premières lignes de ces étranges retrouvailles, le fils tombé en «disgrâce» déclare à sa mère: «T’as pas à t’inquiéter. C’est juste des petites chipies. Des petites vaches jalouses.» Il s’agit du premier d’une longue série de malaises auxquels la pièce nous expose à dessein. Alors que les discussions entre la mère et le fils s’avèrent éclairantes sur le plan humain, les échanges entre l’avocate et son client illustrent de manière implacable le fonctionnement souvent pervers des rouages de la justice, des médias et de l’opinion publique.

Ainsi, l’accusé, présenté comme un être que sa puissance rendrait vulnérable, comme une cible sur laquelle on s’acharnerait parce qu’on en voudrait à ses privilèges, devient ni plus ni moins la victime. La même énergie est consacrée à discréditer les plaignantes, à les mettre symboliquement au banc des accusées. Il faut redorer l’image du défendeur, rappeler ses «bonnes relations avec les femmes», son «implication dans le comité féministe à l’université» et ses «succès professionnels accumulés au fil des années». Quant aux victimes, on cherchera dans leurs témoignages des «points qui ont l’air fragiles», de quoi «attaquer [leur] crédibilité» et soulever le fameux «risque de collusion» entre elles.

Abuser de son pouvoir

Girard Eddahia s’assure de mettre en lumière les différents aspects de la situation. Le véritable thème de la pièce, c’est l’abus de pouvoir, une dynamique malsaine loin de s’appliquer uniquement à l’animateur de radio et à ses victimes alléguées. Le fils abuse de son pouvoir sur sa mère; l’avocate abuse de son pouvoir auprès de son client; les internautes abusent de leur pouvoir sur les réseaux sociaux; le chroniqueur abuse de son pouvoir à coups de colonnes sensationnalistes.

Si l’œuvre démontre que personne n’est à l’abri d’un abus de pouvoir dans l’une ou l’autre des sphères de sa vie, elle ne le fait jamais en banalisant les agressions sexuelles potentiellement perpétrées par l’accusé. Plus l’action progresse, plus notre compréhension du personnage s’affine. Sa soif de violence, son besoin de domination, son recours à la manipulation, son adhésion au système patriarcal, sa brutalité et sa propension à faire fi du consentement, sans oublier son déni total de la situation: tout cela finit par transparaître clairement. «C’est juste du cul», affirme-t-il à sa mère. «Un peu plus intense, c’est tout.»

Faire le procès de la victime

Dans cette pièce qui ne contient rien de superflu, les dernières scènes s’imposent comme les plus rudes. Les témoignages des plaignantes sont déchirants en soi, mais la manière clinique et tendancieuse dont l’avocate les déconstruit est d’une grande violence. On ne peut alors s’empêcher de penser à La parfaite victime (2021), le documentaire controversé et néanmoins bouleversant des journalistes Monic Néron et Émilie Perreault.

À la fin, quand le fils exprime son indécente assurance devant sa mère pétrifiée, difficile pour les lecteur·rices de ne pas ronger leur frein:

On est assez confiants. En fait, on est très confiants. On a tout ce qu’il faut pour soulever des doutes sur les plaignantes. Il paraît que l’avocate est impressionnante en contre-interrogatoire. Ça va bien se passer. Ton fils va être acquitté. T’as pas envie d’être là? Pour vivre la fin du cauchemar. Han, maman? Maman?

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Nadia Girard Eddahia
Longueuil, L'Instant même
L'Instant scène
2022, 14,95 p., 14.95 $