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Poésie urbaine

Le 375e anniversaire de Montréal aura permis l’émergence de plusieurs projets du côté des écrivains. L’un d’eux a rassemblé poètes et bédéistes autour d’un herbier surprenant.

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Poésie

Le 375e anniversaire de Montréal aura permis l’émergence de plusieurs projets du côté des écrivains. L’un d’eux a rassemblé poètes et bédéistes autour d’un herbier surprenant.

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Ce livre aurait-il pu paraître il y a trente ans, au bon vieux temps du postmodernisme? On peut se le demander. Je me rappelle avoir entendu un auteur déclarer, dans les années 1980, qu’il n’y avait plus de place pour des thèmes aussi romantiques et désuets que la mort et… les arbres! Mais les modes durent ce que durent les roses. D’ailleurs, vous avez peut-être remarqué depuis quelques années le retour fulgurant — et attendrissant — du paysage dans la poésie québécoise. Après avoir transgressé tous les codes et inventé de nouveaux styles, les chefs de file du formalisme et de la contre-culture nous parlent maintenant de la mer et des nuages. Pour œuvrer en littérature, il faut aiguiser son regard périphérique afin de voir aussi bien derrière soi que devant: on découvre alors une manière plus actuelle de s’approprier la réalité et de se remettre en bouche un lexique vieux comme le monde.

Bertrand Laverdure, de son côté, n’est jamais en panne de projets. On apprécie son énergie, son aisance à réunir des poètes autour de lui pour la réalisation d’une œuvre collective. En 2015, au moment de présenter sa candidature au poste de Poète de la cité, l’homme avait déjà en tête un herbier qui accueillerait des poètes et des bédéistes. Deux ans plus tard, à la fin de son mandat, paraissait aux éditions La Pastèque ce beau grand livre cartonné, à la typographie et à la mise en page bien soignées.

Cela regorge de dessins, de détails sur les plantes indigènes de Montréal, de notices scientifiques et d’anecdotes. L’amateur y trouvera les noms vernaculaires et les noms latins. Si le cœur lui en dit, il suivra, à la fin du livre, les instructions pour se constituer un herbier personnel. Il y a même une bibliographie pour l’inspirer dans son parcours. Enfin, il devra lire Kim Doré pour recevoir «Six conseils pour un gazon plus vert que celui du voisin». La poète a hérité du trèfle blanc, et voici comment elle s’en est inspirée:

Quelqu’un creuse une tombe
en arrosant l’asphalte
ne déterre pas ton ombre
la tige est longue
et rien ne meurt.

Poètes, à vos feuillages!

De l’érable argenté au peuplier deltoïde, en passant par le pissenlit, le cosmos et le plantain majeur, seize plantes de Montréal sont répertoriées, accompagnées de textes poétiques. Par exemple, on a jumelé Erika Soucy et la petite herbe à poux, Michaël Trahan et la vigne vierge à cinq folioles, Martine Audet et l’asclépiade commune. On a aussi demandé à trois bédéistes ce que leur inspirait le projet. Sur deux grandes pages, Réal Godbout compose deux arbres généalogiques assez cocasses, l’un sur les Dufresne-Lafleur et l’autre sur les Deschamps-Delorme. Vous aurez compris que les Larose, Laplante, Lavigne, Green et Dubois s’y reproduisent sous l’effet d’un puissant engrais! De son côté, c’est sous les traits d’un amoureux éconduit que Michel Rabagliati nous renseigne abondamment sur le «langage des fleurs».

Quant aux textes poétiques, certains sont fort réussis alors que d’autres restent au ras des pâquerettes. Benoît Jutras construit un long poème autour de la petite bardane. Fidèle à lui-même, l’auteur livre un beau texte pour nous dire ce que n’est pas la plante et ce qu’elle est:

La bardane enseigne la force, la faiblesse.
Elle nourrit les vieilles bêtes.
Elle disparaît devant l’orgueil.

 

La bardane n’est pas une plante.
C’est l’invention de la pluie.

Au Jardin botanique de Montréal, après l’ouverture du jardin chinois et celle du jardin japonais, on a mis en terre de petits ginkgos bilobés qui sont maintenant à maturité: cette magnifique essence occupe ici la plume de Christine Germain. En tant qu’initiateur du projet, Bertrand Laverdure, lui, s’est intéressé à l’humble pissenlit officinal, la «dent-de-lion» qu’apprécient les amateurs de laitues amères: «Le pissenlit régule et apaise l’oubli. Sa présence est un symptôme persistant de notre clarté commune.» Quant au célèbre melon de Montréal, sorte de cantaloup à la chair vert tendre, il a été adopté par Élise Turcotte.

Soulignons la qualité du travail éditorial de La Pastèque, et ce, même si la table des matières offre une pagination défectueuse: les auteurs ne correspondent pas aux numéros de pages annoncés. Tout le monde s’y trouve décalé, comme si, quelque part, on avait retiré la contribution d’un auteur. Appelons ce dernier l’écrivain fantôme et amusons-nous à penser qu’il hante à cette heure le magnifique jardin du frère Marie-Victorin. ♦

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Collectif
Montréal, La Pastèque
2017, 88 p., 33.95 $