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Pierres jumelles

La Voie des pierres est le premier tome de la trilogie Les Pierres et les Roses d’Élisabeth Vonarburg, l’une des auteures d’imaginaire les plus connues du Québec.

Littératures de l'imaginaire

La Voie des pierres est le premier tome de la trilogie Les Pierres et les Roses d’Élisabeth Vonarburg, l’une des auteures d’imaginaire les plus connues du Québec.

Ce nouveau cycle s’inscrit dans l’univers de Reine de mémoire, pentalogie d’Élisabeth Vonarburg parue entre 2005 et 2007. Nous sommes dans une Europe alternative des XIIe et XIIIe siècles, essentiellement en France, bien que le récit s’ouvre sur un voyage en Hongrie à travers les territoires géminites. Les conflits religieux sont au centre de l’intrigue, notamment les croyances des Géminites. En effet, ceux-ci pratiquent la magie, entre autres à des fins médicales, en plus de croire à Sophia, sœur jumelle de Jésus, étant donné que «Dieu a envoyé des jumeaux sur Terre pour [le] salut des hommes». Les Christiens, quant à eux, condamnent l’usage du surnaturel, qu’ils qualifient de sorcellerie, ainsi que l’adoration de Sophia et de ses symboles: la rose en est l’un des plus courants.

Au village breton de Trédyn, un culte différent est répandu, soit celui de la déesse Morrigan. Cette dernière occupe littéralement le corps de sa monture, une femme aux puissants talents magiques, dont elle use l’enveloppe charnelle pendant une centaine d’années. Arwèn est cette infortunée dont la cruelle Morrigan dérobe l’esprit, hormis pendant ses grossesses, et dont elle assure l’étonnante longévité: «On ne vieillit pas vite, quand on est la Voix et les Mains de la Déesse. Seulement pendant les douze mois où Elle vous quitte pour vous laisser enfanter ses Élus.»

Les nombreux (119!) et brefs chapitres accentuent le suspense de La Voie des pierres. Les sections alternent les points de vue d’Arwèn et ceux de personnages phares, bien définis, dont Cédric, jeune héritier d’Angresay, et Guillem, serviteur de Briann, frère aîné de Cédric. Après la mort en couches de sa femme, Briann quitte Nantes, démoli. Carolus, son père, a en effet refusé l’intervention des sages-femmes, jugées impies. Dix ans plus tard, Carolus, à l’agonie, insiste pour que son plus jeune fils ramène Briann au bercail… Dévoué, Cédric s’exécute et retrouve son aîné en Hongrie, assombri par les années. Malgré ses réticences, Briann finit par revenir au royaume honni, mais seul. Il affirme qu’il a été contraint d’achever Cédric pour cause de trahison. Pourtant, ce n’est pas ainsi que les événements se sont déroulés… Ne dit-on pas que «Les grands rois ont toujours trop de fils»?

Trois fois traître

Le conflit entre les deux frères est au cœur de La Voie des pierres. Le roman s’intéresse de près à la traîtrise et à la dualité, par exemple aux Gémeaux. Cependant, la «trinité» rôde en périphérie de cette trilogie, que ce soit par l’entremise de la défunte sœur jumelle de Briann ou du serviteur Guillem, allié des deux frères au point de pratiquement rallier la fratrie. En plus d’Arwèn, deux autres femmes importantes interviennent: Rebecca, une Juive, «la rose de Judée a des épines», et Annaïg, la fiancée de Cédric. Tous ces protagonistes sont liés, d’une manière ou d’une autre, au conflit théologique près d’éclater dans le royaume.

Les personnages de La Voie des pierres rendent ce roman particulièrement vivant. Le style souple et théâtral d’Élisabeth Vonarburg se combine à une intrigue où l’action ne tarit pas (sans sombrer dans l’aventure héroïque aux péripéties parfois répétitives). Les dialogues vifs, les phrases équilibrées et la richesse du lexique — l’auteure a signé des recueils de poésie, et cela est perceptible — nourrissent cet ouvrage haletant. De plus, les connaissances historiques de l’écrivaine sont surprenantes, de même que la manière dont elle a élaboré son «propre Moyen Âge», fascinant sous plusieurs aspects: les Gémeaux, les montures de la Morrigan qui ne récupèrent leur esprit que pendant les grossesses,etc. En outre, puisque le premier tome totalise à lui seul 716 pages, la générosité du projet impressionne, peu de longueurs étant présentes dans cette œuvre harmonieuse.

La glace peut brûler

J’aurais cependant aimé que l’écrivaine évite de parsemer son livre de majuscules au point d’en gêner parfois la lisibilité:
«Mais aujourd’hui, elle est la vraie Moïrag, la Voix et les Mains de la Déesse venue se choisir ici de nouveaux Élus.» Sans oublier que le terme «Élu» est quelque peu cliché. Certes, en contexte religieux, pourquoi pas, mais la majuscule était-elle nécessaire? La Voie des pierres contient aussi çà et là des redites, comme l’explication répétée des talents magiques de la Morrigan. Néanmoins, il s’agit sans nul doute de l’un des meilleurs romans d’Élisabeth Vonarburg, qui s’intéresse aux religions et aux conflits idéologiques séculaires avec habileté et lucidité. Car «les générations d’hommes passent, et les pierres sacrées aussi, de mains en mains. Elles sont toujours avec nous ». ♦

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Élisabeth Vonarburg
Lévis, alire
2018, 716 p., 34.95 $