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Paterson-en-Québec

Étonnante, fascinante, hypnotisante livraison de poèmes que ceux du Pont Rhodia, premier recueil de Xavière Mackay, qui nous ouvre les yeux sur les imperfections tristes mais curieusement confortables du monde.

Thématique·s
Poésie

Étonnante, fascinante, hypnotisante livraison de poèmes que ceux du Pont Rhodia, premier recueil de Xavière Mackay, qui nous ouvre les yeux sur les imperfections tristes mais curieusement confortables du monde.

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Parcouru d’une gravité candide et superbement juste d’un poème à l’autre, Pont Rhodia emprunte des chemins mille fois connus, qui accusent pourtant toute ma négligence. Je suis un lecteur jaloux, un lecteur triste. Les poèmes de Xavière Mackay font des culbutes, se cassent la margoulette en ricanant. Les observant, pupilles dilatées pour n’en rien manquer, j’ai l’air parfaitement vieux.

J’envie presque tout des poèmes de Xavière Mackay: leur voca-bulaire délicieusement incongru, leurs manières polissonnes ici, leur mauvaise humeur juvénile là, les minuscules spectacles qu’ils assemblent, la vie simple qu’ils traduisent. J’envie cette poète qui semble toujours avoir son cahier orange sous la main, pour y noter les scènes aperçues à l’arrêt de bus, pour créer des petits ponts de sens entre pas-grand-chose et presque-rien :

il neige en mai
il neige en mai comment?
mais je suis libre
sortie
je suis dehors
sortie de tout
extraite
c’est possible
hurler comme un dos?
ma mère m’embrasse
à tantôt

Certains passages sont maladroits, et puis les relisant, ne le sont plus. Ils fonctionnent par intermittence, clignotent, tout comme nos yeux. Ils sont semblables à ce trajet d’autobus qu’on emprunte tous les jours et dont les détails furtifs qui nous plaisent (une devanture de magasin, un angle entre deux bâtiments, un brigadier souriant) nous échappent parfois malgré leur immuabilité, pour mieux revenir, brillants de plénitude.

Comment parvient-on à ne pas forcer le regard? À dire sincèrement «les gens me fascinent/j’aime les gens/et toi// toi tu m’aimes»? Je suis occupé. Je pense à l’argent, à mon enfant qui est loin, à la fête que j’ai manquée hier. Il neige en octobre. Je suis attentif à ma rue, je choisis une place dans l’autobus, j’observe les gens, mais je ne traîne plus mon carnet. Je pense à des statuts Facebook. Je n’ai pas écrit un bon poème depuis des mois.

Ici, on assiste ébaubi à des poèmes désarmants. Je m’assois par terre. Je lis et relis Xavière Mackay avouer qu’elle s’en fout, des poèmes, qu’elle s’en fout franchement, de sa job, que ce n’est rien, puisqu’elle aime son enfant et le père de celui-ci, «l’homme de ma vie». C’est qu’elle se fout de la ringardise, aussi, d’avoir l’air de ci, de ne pas écrire comme ça, d’avoir l’air d’une amoureuse qui s’ennuie, et de ne pas écrire comme les femmes devraient écrire: «j’aimerais savoir ce que c’est/avoir un sexe qui claque/savoir ce que sent le musc/me battre souffrir chanter/disparaître comme un homme».

Désuétude de la gratitude

Il faut une audace inouïe pour écrire ainsi, pour se dire la femme de, la mère de: «j’appartiens à Jean/j’appartiens à Auguste/j’ai l’air de choisir/mais je ne choisis pas souvent/la convention me plaît/l’esprit casanier du week-end/mère de famille/active oisive». Combien s’empêchent d’écrire ces quelques mots simples? Pont Rhodia nous place devant des situations où notre agentivité est une passivité complète, une humilité, celle d’aimer, de remercier discrètement les choses d’exister. Sans le moins du monde nier l’importance primordiale de combattre les injustices, de s’indigner contre les violences et de faire entendre des voix pour celles et ceux qui n’en ont pas, le recueil de Mackay nous rappelle aussi la bonté, sans militantisme ni revendications, sans coolitude aucune. En ce moment, j’ai envie de faire ta lessive et de plier amoureusement tous tes vêtements.

Ailleurs, devant quelque soubresaut de révolte, je repense à Geneviève Desrosiers, à sa combativité lasse, à son pessimisme serein: «rougissons et suons encore/enthousiasmons-nous/ à propos de tout// allons voir/si une fois/encore/nous serons désappointées». La vie est une longue séquence de semaines qui suivent leur cours aliénant, mais, parfois, on fait la grasse matinée. Il importe tout autant de crier que de donner congé à la colère. À l’instar de ses contemporaines Daphnée Azoulay, Virginie Beauregard D., Clémence Dumas-Côté, Geneviève Elverum et d’autres, Xavière Mackay fait une poésie qui ne m’apparaît pas chercher à infléchir le mouvement du monde, mais plutôt à épouser l’infini de ce qu’il offre. La sincérité de leur regard suffit amplement à renouveler ce monde qui assiste à notre insignifiance sans mot dire.

Il fait grand bien d’accorder plus d’attention à ces voix vives mais sobres, dont l’éclat ne se mesure ni en décibels ni en bières brisées au sol. Il est bon et beau de s’émouvoir d’un autobus qui arrive à l’heure. ♦

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Xavière Mackay
Montréal, Le Quartanier
2018, 72 p., 15.95 $