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Nouveau classique

Enfin réunis, les deux tomes de Whitehorse sont encore meilleurs que dans mon souvenir.

Bande dessinée

Enfin réunis, les deux tomes de Whitehorse sont encore meilleurs que dans mon souvenir.

L’histoire d’Henri Castagnette, auteur en devenir d’un roman mettant en vedette Pépin le Bref, n’a rien de banal. Samuel Cantin présente un antihéros parfait, un personnage parfois insupportable en raison de sa suffisance, mais tout de même terriblement attachant. Quiconque a lu les albums précédents du bédéiste – Phobie des moments seuls (2011) ainsi que Vil et misérable (2013), tous deux parus aux éditions Pow Pow – connaît bien son penchant pour l’absurde. Whitehorse suit cette voie, comme le prouvent les premières pages: Henri y apprend qu’il souffre du syndrome de la tortue, une maladie qui rapetisse ses membres d’un côté, tandis que de l’autre, ils deviennent énormes. Comme si ce n’était pas assez, le médecin qui lui annonce la nouvelle est pour le moins particulier, y allant de blagues douteuses et de répliques telles que «crisse, chus cave» tout en s’esclaffant.

Dans tous les sens

Le pauvre Henri voit sa vie complètement bouleversée lorsque son amoureuse, Laura, doit partir à Whitehorse pour tourner un film avec Sylvain Pastrami, un réalisateur en vogue. Le jeune écrivain est envahi par la jalousie. Il fait tout en son pouvoir pour convaincre sa bien-aimée de ne pas tomber dans le piège du cinéaste, qu’il déteste. Il va même jusqu’à assister à une fête organisée par Pastrami pour prouver à Laura que cet homme est malveillant. La situation dérape lorsqu’on apprend que Sylvain suit une cure au cours de laquelle il doit boire son urine, qu’il ne porte pas de sous-vêtement sous son kilt, et que Laura et Henri se droguent. Les malaises s’accumulent, tant dans cette partie que dans le reste du livre, Henri maîtrisant l’art de se mettre le pied dans la bouche plus souvent qu’à son tour. Plusieurs personnages commettent des faux pas, généralement dans des moments de fébrilité. Je pense ici à la scène où Pastrami se fait surprendre par Laura en train de parler au téléphone avec Sébastien, l’un de ses «alliés» dans sa quête amoureuse de la comédienne. Le pauvre réalisateur, qui d’habitude cache bien son jeu, commence à dire la vérité et dévoile ses intentions à celle qu’il tente de séduire.

Le dessin de Cantin peut paraître brouillon, mais lorsqu’on s’y attarde, on se rend compte qu’il n’en est rien. L’artiste évite les fioritures, se limite à l’essentiel et arrive brillamment à partager les émotions de ses protagonistes par de simples détails, comme un sourcil froncé ou une bouche pincée. Les arrière-plans sont dépouillés: les héros occupent entièrement l’espace. Une des forces de l’album réside dans les très nombreux (et parfois interminables) dialogues. Les angoisses d’Henri, ses coups de gueule, le plaisir qu’il éprouve à voir ses ennemi·es échouer, ses réflexions du type «c’est ça que ça fait l’amour: ça rend fasciste», tout nous est offert, et ce, pour notre plus grand bonheur. C’est le comble de l’ironie de lire les envolées de l’auteur d’un roman ayant comme héros Pépin le Bref. Cela dit, les personnages ont de la répartie. Henri est le plus volubile, mais son ami Diego et Laura lui renvoient la balle avec aisance.

Puis vint l’apothéose

Cantin ne donne aucun répit à ses lecteur·rices. Même lorsque les discussions s’étalent sur plusieurs planches, des éléments de surprise jaillissent toujours: les protagonistes ne vont jamais là où on les attend. Dans la deuxième partie de l’œuvre, on est plongé·es dans le tournage du film de Sylvain Pastrami, qui se déroule comme prévu à Whitehorse. Cependant, des problèmes surgissent avec l’apparition de pélicans géants, qui ont la mauvaise habitude de manger les humains. Laura, de son côté, questionne le réalisateur à propos de ses motivations. Henri, pour sa part, sort d’un coma de deux jours après s’être cogné la tête en faisant des roues latérales. Il s’envole pour Whitehorse avec son copilote Diego. Ils arrivent finalement dans la capitale, qui ressemble plus à un village digne d’un vieux western spaghetti qu’à la vraie ville, et tentent de tirer Laura de l’embarras. Soyez sans crainte: aucun divulgâcheur ici. De toute façon, vous ne me croiriez pas.

La lecture de cette édition intégrale de Whitehorse met en lumière le génie – osons le mot – de Samuel Cantin. Au-delà des péripéties saugrenues, la présentation d’Henri, de Laurie, de Diego et de Sylvain Pastrami apparaît plus subtile qu’on ne l’aurait cru. S’il y a une justice en ce bas monde, cet ouvrage devrait devenir une référence au cours des prochaines années.

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Samuel Cantin
Montréal, Pow Pow
2021, 552 p., 44.95 $