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Nous volerons

Un livre au charme fou, fait de photographies en noir et blanc dont l’esthétique est en phase avec le lieu qu’elles représentent.

Beau livre

Un livre au charme fou, fait de photographies en noir et blanc dont l’esthétique est en phase avec le lieu qu’elles représentent.

Coédition des Éditions du Renard et du centre de diffusion et de production de la photographie VU, Les affluents, sixième livre du photographe et éditeur Louis Perreault, est ensorcelant. Il possède une noirceur étincelante et une vivacité propre aux «débits affectifs» tels que les nomme Perreault, c’est-à-dire les cours d’eau, les bras de rivières et ce qui contient ou dessine leurs lits, pierres, racines, grèves ou montagnes.

Habiter

Si, pour les Éditions du Renard, le livre photo est le médium de l’expérimentation des narrations imagières, l’espace physique l’est tout autant; dans la plus grande partie de leur catalogue — et c’est encore plus vrai pour le présent ouvrage — le territoire offre un espace esthétique qui devient un «refuge contre l’effritement d’une vie poétique» et la photographie le moyen d’y arriver.

Sobre, élégant; si le livre ne coupe pas le souffle au premier abord, c’est parce qu’il a plutôt décidé de revêtir de plus simples habits. Aucune esbroufe, l’épure règne en maître. Et nous ne pouvons que nous en réjouir. Une couverture et une quatrième de couverture sans inscription si ce n’est le nom des deux éditeurs coloré d’argent tout en bas de l’ouvrage. Un autre coup d’œil rapide révélera l’épine piquée elle aussi d’argent nous informant du titre du livre et de son auteur. Les chemins sinueux de l’intérieur de l’écorce d’un arbre tracent sur l’objet les lieux nouveaux que nous nous apprêtons à fouler. Et le périple s’ouvre à merveille, comme de voyages anciens, sous l’augure — dès la première page — d’une lumière trouble se reflétant sur un point d’eau.

Paradis

Les photos en noir et blanc de Perreault, peu contrastées et plutôt sombres, accentuées par la blancheur éclatante du papier, annoncent les paroles de l’écrivaine américaine Rebecca Solnit citée en fin d’ouvrage, seul et unique texte du livre: «We fly; dream in darkness; we devour heaven in bites too small to be measured

Les motifs d’un rêve éveillé nous électrisent tout au long des pages. Il y a d’ailleurs un soupçon de symbolisme et de surréalisme dans les images de Louis Perreault. Ce qui lui ferait volontiers partager le trône qu’occupe le photographe américain Ralph Gibson et sa Black trilogy devenue culte avec les années. Délesté cependant de ses forts contrastes et de l’aspect très léché et parfois artificiel des photos de Gibson, le travail de Perreault est plus naturel, plus rustique, ancré dans une tradition documentaire de la photographie, proche d’une nature dont le cœur est fait de sauvagerie et de douceur. C’est la brutalité et la sensibilité d’un jeune garçon qui joue avec des pierres polies ou avec une couleuvre qu’il vient de débusquer dans les herbes hautes. C’est une main légèrement floutée caressant le courant d’une rivière, y trouvant l’accord solennel d’un pacte.

Le rythme interne du livre ne foudroie pas, mais détient dans ses pages l’énergie pulsatrice de la nature, du scintillement régulier d’une pierre précieuse au creux des paumes. La cadence séquentielle des photographies, en plus de leur ambiance brumeuse et presque secrète, crée des conversations nouvelles, produit des rapprochements poétiques qui réussissent à nous faire partager l’expérience intime du photographe avec la nature. La variété des sujets, de leurs textures, de l’échelle de plan utilisée, ainsi que la dimension des photographies imprimées dans l’ouvrage (pleine page, centrées ou chevauchant en partie la double page) contribue à ce rythme méditatif, rond, empreint de «l’ultime sentiment d’être en vie». Des pages blanches insérées comme des silences dans une pièce musicale ajoutent à cette vive impression.

Dans une économie de moyen frappante, le livre ne s’embête pas davantage de textes interprétatifs ni des mots d’un expert de service, il s’installe lentement chez son lecteur, photo après photo, distillant le mystère de sa beauté. Je ne sais pas s’il s’agit d’audace ou d’un luxe propre à la retenue des grands; une chose est certaine, Perreault fait confiance d’abord à son lecteur et, à n’en pas douter, à la force évocatrice de l’art photographique et de celui, alchimique, de créer des livres.

Pour toute parole parfois le dos légèrement écorché d’un jeune homme, un arbre sur le point de tomber, un mobilier en feu en pleine forêt. Ici, rien de ce combat entre l’humain et la nature. Perreault évite le cliché surtout parce que ses préoccupations sont autres et nourries par un désir d’explorer ses retranchements et de découvrir ce qui reste en l’être de ces si petites bouchées de paradis. ♦

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Louis Perreault
Montréal, Renard + Vu
2019, 96 p., 55.00 $