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Notman, visions de mémoire

Notman, visions de mémoire

Constituée de nombreux documents photographiques et d’essais, nul doute que l’imposante monographie marquera les mémoires; le travail du «premier photographe canadien de renommée internationale au XIXe siècle», William Notman, y restera gravé.

Beau livre

Constituée de nombreux documents photographiques et d’essais, nul doute que l’imposante monographie marquera les mémoires; le travail du «premier photographe canadien de renommée internationale au XIXe siècle», William Notman, y restera gravé.

D’abord, il y a cette couverture contrastée, énigmatique, d’un noir anthracite rappelant la magnificence d’un monolithe qui, animé par des forces étranges, se dresserait dans votre bibliothèque. Il y a cet autoportrait d’un homme savamment éclairé, à l’air grave ou concentré, le photographe William Notman en l’année 1868. En surimpression, les lettres blanches du patronyme: police de caractères soignée sans empattement, franche et tranchante, dont les deux N tronqués sur leur verticalité débordent de la couverture et s’efforcent de se rejoindre pour ainsi former une boucle. Le message n’en est que plus clair: on n’oubliera pas de sitôt cette importante et imposante monographie.

Magnétique, l’ouvrage s’ouvre comme une malle cachée au fond d’un grenier. Tout au long, et à commencer par cette table des matières évoquant la chambre noire et les milliers de planches-contacts faites et refaites, le graphisme est irréprochable de modernité, minimal et sobre. Ce qui a d’ailleurs valu à l’agence Paprika d’être primée lors du dernier gala Grafika. Le travail du photographe ayant fui son Écosse natale est reproduit ici avec justesse et soin.

L’ouvrage est découpé en sept essais érudits et trois chapitres visuels qui, à eux seuls, font voir le visionnaire, l’artiste d’exception chez Notman. Les moments les plus forts sont d’ailleurs les chapitres où les photographies, surgissant de la page, rappellent les portraits hantés de l’aïeul sortis d’un vieil album antique ou les photographies du chapitre «Un imaginaire géographique» qui rivalisent, à certains égards, avec l’œil acéré de l’agence Magnum, ou du moins l’appellent depuis le Montréal victorien et celui du Canada ferroviaire de l’époque.

Les royaumes oubliés

Les essais remettent en contexte de manière probante l’avant-gardisme de l’artiste sur des sujets qui nécessitent un certain accompagnement: sa créativité au service du portrait, ses publications ou encore la classification systématique des photos. Malheureusement, les promesses qu’annonce le choix éditorial dans l’abondance achivistique de l’homme n’ont pas leur égal du côté des essais. En effet, ces derniers s’avèrent par moments de vastes et ennuyeux royaumes dont pas même les éclats d’un soleil de juillet — ou la foudre d’un orage — n’arriveraient à rendre la magie pittoresque. Je pense précisément aux textes de Christian Vachon, Nora Hague et Heather McNabb qui, malgré leur richesse, leur tentative pour éclairer les pratiques d’archivage de Notman et de son œuvre, alourdissent l’ouvrage d’un poids dont on cherche en vain le lest. Il ne manquerait alors que le passage d’un fou dans la vallée ou d’une équipée sauvage électrisant à nouveau le paysage.

Étrangement, cette énergie est présente et absente du texte de Joan M. Schwartz; comme Beckett, on cherche dans «ce qui est tu la lumière du dit». Par le biais des livres illustrés de Notman, l’essai s’intéresse aux «idées avant-gardistes sur la photographie et son rapport à la culture, à l’identité et au lieu» (Schwatz) de notre Écossais émigré. Son texte possède les qualités d’une valise à double fond. Avec brio, il aborde les enjeux identitaires et géographiques de l’époque par lesquels s’est construite l’œuvre de Notman, mais beaucoup de questions sur la notion véritable d’identité canadienne demeurent en suspens; l’image paradoxale du photographe se servant d’une élite «qui pouvait s’enorgueillir de son goût artistique» (Schwatz) et servant la même élite apparaît donc en filigrane dans ce texte néanmoins le plus riche et le plus vivant. Aurait-il été judicieux de questionner aussi l’évolution actuelle de cette identité par le prisme de l’œuvre de Notman? N’est-ce pas aussi le travail de l’historien ou du spécialiste de creuser le passé pour y cueillir l’or du présent? J’aurais aimé poursuivre ma réflexion en sa compagnie.

Mémoire des lieux

Si «la culture est un projet sans cesse compromis1», et j’ajouterais aussi l’identité, je préfère alors suggérer que Notman, à l’instar d’Hélène Samson dans sa présentation, est «à l’origine d’un nom qui s’est distingué et d’une production qui a laissé une empreinte indélibile dans la mémoire collective» (Samson). Une mémoire des lieux, parce que les visages s’effacent malgré l’impression. Ces lieux qui nous habitent et forgent notre parole, plus vieille que les souvenirs, «qu’un geste […] peut réveiller2». Ce geste, c’est celui de s’avancer sur la plaine, de régler l’appareil, de laisser entrer toute la lumière nécessaire, de faire ses traces. En cela, la monographie sur William Notman nous redonne le territoire et, par le fait même, la matière nécessaire afin de poursuivre notre quête de la parole.♦

  • 1. Fernand Dumont, Le lieu de l’histoire, Québec, BQ, 2014, p.25.
  • 2. Edmond Jabès, Le langage dans la psychanalyse, Paris, Les Belles Lettres, coll. «Confluents psychanalytiques», 1984.
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Article au format PDF
Collectif, Hélène Samson, Suzanne Sauvage
Québec, Musée McCord / Hazan
2016, 240 p., 59.95 $