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Nota bene : de la maison d'édition au groupe

Nota bene : de la maison d'édition au groupe

Un portrait de la relève et de la passation dans le milieu du livre au Québec serait incomplet s’il n’était pas question du Groupe Nota bene, l’une des entreprises éditoriales les plus florissantes à l’heure actuelle.

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Un portrait de la relève et de la passation dans le milieu du livre au Québec serait incomplet s’il n’était pas question du Groupe Nota bene, l’une des entreprises éditoriales les plus florissantes à l’heure actuelle.

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L’histoire de Nota bene est richissime : elle remonte à 1997, tandis que Guy Champagne crée, conjointement avec Anne-Marie Guérineau, Nuit blanche éditeur. Ils y publient essentiellement des essais et des études littéraires. L’année suivante, Champagne achète les actions de son associée, devenant par la même occasion l’unique propriétaire de la maison, qui change de nom pour les Éditions Nota bene. S’amorce dès lors une nouvelle ère, durant laquelle le directeur, tout en continuant à éditer régulièrement des ouvrages universitaires, diversifie la production de sa maison et élargit son mandat.

La genèse d’un groupe

Guy Champagne fonde, au fil des ans, d’autres structures éditoriales, sortes de satellites gravitant autour de Nota bene : c’est le cas par exemple du Lézard amoureux, qui voit le jour en 2005 et qui accorde une tribune à des poètes tant chevronnés que néophytes. Surtout, Champagne s’entoure de jeunes écrivains et intellectuels talentueux, dont Patrick Poirier (qui passera ensuite à Spirale, puis aux Presses de l’Université de Montréal) et Nicolas Lévesque, essayiste et directeur, entre 2010 et 2016, de la collection « Nouveaux essais Spirale ». En 2010, Champagne et Lévesque relancent les Éditions Varia, consacrées à la publication d’essais sur les arts et la culture. Il s’agit d’un tournant pour Nota bene et ses maisons périphériques. « Un grand chantier s’est alors amorcé, rappelle Nicolas Lévesque : mise au point de nouvelles lignes éditoriales et graphiques des maisons et collections, création d’une nouvelle structure. Il fallait grossir pour pouvoir continuer à publier des titres sans concessions, assurer la survie de l’essai dans notre catalogue et pouvoir répondre aux demandes de plus en plus exigeantes du milieu de l’édition. » Ces deux passionnés du livre continuent de développer les maisons et leurs collections tout en demeurant à l’affût de collaborateurs qui ont du flair. « Guy Champagne et Nicolas Lévesque sont venus me chercher pour donner un tournant plus essayistique à Nota bene, explique Étienne Beaulieu. C’est mon parcours à Contre-jour qui les a intéressés, et surtout ma prose d’essayiste, qu’ils voulaient voir se développer au sein de la maison. »

Radioscopie d’une structure éditoriale

En 2014, le futur Groupe Nota bene, qui était jusqu’alors localisé à Québec, déménage ses pénates à Montréal. L’année suivante, Robert Giroux, directeur des éditions Triptyque et de Mœbius, approche Guy Champagne pour qu’il reprenne la maison d’édition, son fonds ainsi que la revue. Ce dernier accepte l’offre : avec le soutien de Nicolas Lévesque, d’Étienne Beaulieu et d’autres précieux collaborateurs, il met officiellement sur pied le Groupe Nota bene en 2015. Selon Nicolas Lévesque, il devient alors « important de tracer des lignes éditoriales distinctes et cohérentes, ensuite des lignes graphiques qui émanent de celles-ci. Le plus gros changement est toutefois dans la nouvelle structure organisationnelle. » En effet, le groupe abrite désormais, outre les Éditions Nota bene, toujours spécialisées dans la production d’essais littéraires et universitaires, Varia, qui fait davantage dans l’essai grand public, le Lézard amoureux et Triptyque, bien sûr, de même que les éditions Alias, lesquelles, d’après les termes de Guy Champagne, « font figure de lien entre les maisons du groupe ». C’est à cette enseigne que sont réédités certains des titres du fonds de Triptyque afin qu’ils soient disponibles sur le marché.

À nouveau, Guy Champagne attire de nombreux·ses collabo-rateurs·trices de la jeune génération, enthousiastes et désireux·ses de renouveler le rapport à l’édition et même à la littérature. Ainsi, Valérie Forgues et Catherine Morency se partagent la direction du Lézard amoureux. Marie-Julie Flagothier, qui a intégré l’équipe en 2016 à titre de stagiaire, s’occupe maintenant de la collection de fiction « Encrages » de Triptyque en plus d’être coordonnatrice à l’édition pour les différentes maisons du groupe. Elle est également la directrice de Mœbius. D’autres littéraires ont aussi été approchés par Guy Champagne et son équipe pour gérer de nouvelles collections chez Triptyque : Pierre-Luc Landry dirige « Pop », centrée sur la littérature populaire, et « Queer », haut lieu d’affirmation des différences sexuelles ; Mathieu Villeneuve s’est récemment vu confier la direction de « Satellite », axée sur la littérature de genre ; enfin, la collection « Poésie » a été prise en charge par Karianne Trudeau Beaunoyer, rédactrice en chef de Mœbius, qui s’est vite montrée intéressée par le travail éditorial :

En arrivant (par accident, sans préméditation vraiment) dans des souliers d’éditrice, il m’a semblé entendre se multiplier les échos grâce aux échanges avec les autrices et les auteurs, comme cela a été le cas aussi pour moi dans des ateliers de création par exemple, ou dans la direction de numéros de revues. Je pense que c’est ce dialogue-là qui me réjouit vraiment dans la pratique de l’édition. C’est un privilège d’être dans le « faire » et non seulement dans le « fait », et de pouvoir passer de l’un à l’autre.

Ces collaborateurs de tout acabit font du Groupe Nota bene « un endroit grouillant de vie », soutient Nicolas Lévesque.

De la nécessité du mentorat et de la collégialité

Mais ce n’est pas tout de nommer des personnes à des postes clés afin d’assurer la pérennité d’une maison d’édition. Encore faut-il, en tant que fondateur, transmettre son savoir à la nouvelle équipe, à la relève :

Léguer un groupe de maisons d’édition n’est pas chose facile, souligne Marie-Julie Flagothier. C’est une passation qui s’effectue sur le long terme, car il s’agit de transmettre sa vision, ses connaissances et son savoir-faire, tout en ayant beaucoup d’ouverture pour la relève, qui peut parfois arriver avec ses grosses bottes et ses idées révolutionnaires. Guy Champagne relève le défi immense de la passation avec brio : il est présent, dévoué et à l’écoute de nos questionnements, toujours prêt à nous prodiguer des conseils et à nous offrir son aide. Il effectue un travail de mentorat colossal.

Les autres membres de l’équipe insistent également sur l’importance capitale du mentorat dans le processus de transmission d’une maison d’édition. « Les plus anciens partagent leur temps, leurs expériences et leur savoir, renchérit Shelbie Deblois, responsable des communications et des événements au Groupe Nota bene depuis un peu plus d’un an. Ils sont là pour nous former. » Même son de cloche chez Catherine Morency :

Bien qu’il m’ait légué un bagage important tant sur le plan éditorial que littéraire, Guy Champagne a toujours agi avec moi de manière collégiale, me traitant comme une interlocutrice valable, une égale, et jamais comme sa subalterne. Je remarque que la passation qui se vit présentement se fait de la même manière : dans un respect mutuel et dans une profonde reconnaissance de l’apport de chacun.

Le Groupe Nota bene apparaît par conséquent comme un lieu d’échanges conviviaux autour d’une pratique : l’édition.

En fait, si la transition entre Guy Champagne, qui n’est plus actionnaire chez Nota bene, et les nouveaux membres de l’équipe s’est avérée un véritable succès, c’est entre autres en raison du grand sentiment de collégialité qui règne au sein de l’entreprise. « Ce qui caractérise Nota bene, c’est son unité, le fort esprit de groupe, précise Champagne. Toutes les décisions sont prises collectivement, tout le monde est sur le même pied d’égalité. Il n’y a pas de hiérarchie. » « C’est une équipe magnifique, très diversifiée, composée majoritairement de femmes et très ouverte aux communautés LGBTQ + », ajoute Étienne Beaulieu. À une époque où les femmes sont de plus en plus présentes à des postes importants dans l’édition, mais où un certain plafond de verre résiste toujours, il est notable que le Groupe Nota bene nomme surtout des représentantes de la gent féminine : « En termes de structure, c’est assez rafraîchissant de constater que nous sommes une majorité de femmes qui travaillent ensemble, affirme Marie-Julie Flagothier. C’est une sorte de safe space, nous avons une belle complicité au bureau et cela crée une ambiance de travail exceptionnelle. »

Publier et créer à sa guise

La réussite de la transition chez Nota bene s’explique aussi par le fait que Guy Champagne, Étienne Beaulieu, Nicolas Lévesque et les autres membres de la direction accordent une grande liberté d’action aux recrues. Un tel parti pris permet ainsi aux directrices du Lézard amoureux de « chercher des voix fortes et singulières parmi la relève, mais aussi de faire des livres avec des auteurs plus établis ». Pour Marie-Julie Flagothier, la grande confiance que lui témoignent les dirigeants chez Nota bene étend sa liberté d’éditrice à l’infini. Elle peut ainsi privilégier des écrivain·e·s dont les œuvres sont peut-être plus difficiles d’accès, mais qui contribuent, par leurs voix originales, à la vivacité de la littérature d’ici :

Avec la fiction aux éditions Triptyque, je veux rassembler des voix uniques, des auteurs qui ont des projets particuliers, dont on se souviendra encore longtemps. Je veux des lectures qui me bouleversent, qui me troublent, me happent, m’empêchent de dormir, des livres que j’aurais envie de relire constamment, qui me remettent en question comme individu, qui me rappellent aussi pourquoi la lecture est mon passe-temps favori et pourquoi j’ai décidé de dédier ma vie à la littérature. Je veux mettre en valeur des écrivains qui ont des choses à dire et une manière de les raconter.

En tant que directeur de la collection « Queer », Pierre-Luc Landry a aussi les coudées franches : « Chez Nota bene, la production des livres est centralisée à Montréal, mais la direction littéraire est décentralisée, de sorte que je peux faire ce travail de chez moi, à Kingston. J’ai constitué un comité de lecture, au sein duquel je cherche à maintenir une pluralité de voix, qui m’aide avec les manuscrits. Je n’ai vraiment pas de comptes à rendre à la direction sur les livres que je publie ou leur contenu. » Parmi les titres à paraître dans cette collection, signalons l’autobiographie My Body Is Yours, de Michael V. Smith, et This Wound is a World, du poète bispirituel Billy-Ray Belcourt, qui seront offerts en traduction française au cours de l’année 2019.

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« On a conclu que cela prend en vérité dix ans, une passation, avec plusieurs hauts et bas, essais et erreurs », confirme Nicolas Lévesque. Au terme de ce long processus, le Groupe Nota bene est aujourd’hui plus actif que jamais et il s’est taillé une place de choix dans le milieu du livre. Non seulement son avenir est-il assuré : il semble resplendissant. ♦

 


Détenteur d’un doctorat en études françaises de l’Université de Sherbrooke, Nicholas Giguère a publié Marques déposées (2015) à Fond’Tonne ainsi que Queues (2017) et Quelqu’un (2018) à Hamac.

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