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My heart will go on

D’un chic simple, cette publication a le mérite d’allumer une étincelle de militantisme chez les lecteur·rices.

Thématique·s
Beau livre

D’un chic simple, cette publication a le mérite d’allumer une étincelle de militantisme chez les lecteur·rices.

Thématique·s

Le centre d’art actuel Plein sud a accueilli, du 21 mai au 9 juillet 2022, l’exposition Les maîtres du monde sont des gens, de Clément de Gaulejac, commissariée par Marie-Hélène Leblanc et présentée en partenariat avec la Galerie UQO. Le vernissage a été accompagné du lancement du livre Entretiens #6: La croisière ne s’amuse plus / Every Man for Himself, fruit d’une correspondance entre l’essayiste Alain Deneault et Gaulejac. Illustrés de dessins tirés de l’exposition, les propos explorent la métaphore dans la sphère économique, où il est plus facile d’imaginer la fin du monde que celle du capitalisme.

Engagement

Les Entretiens sont une série de publications qui rassemblent plusieurs personnes de divers champs disciplinaires. Elles instaurent un dialogue sur les enjeux institutionnels et artistiques mis en œuvre à la Galerie UQO. Sixième titre paru sur ce modèle, La croisière ne s’amuse plus / Every Man for Himself se distingue par l’élégance de sa simplicité. La couverture arbore un léger cartonnage de couleur grise. La reliure, brochée, quant à elle, assemble un papier velouté et plié en deux en son centre. La publication rappelle l’authenticité et l’immédiateté de pensée de la revue politique Le merle – dans une formule moins homemade, bien sûr. Petite ombre au tableau: les fontes, en grand format, forment des octogones, ce qui provoque un effet plutôt étrange. Les fonds gris, sur lesquels reposent les dessins, sont assez redondants. Néanmoins, l’ouvrage est pratiquement un «sans fautes». Notons au passage que la correspondance peut se lire indépendamment de l’exposition dont elle est tirée. Les propos, cristallins, s’adressent aussi bien à des marxistes invétéré·es et curieux·ses de l’art, qu’à de jeunes gens en quête d’affirmation politique.

De drôles de choucroutes

Utilisant le «jeu dans l’ordre du discours», Gaulejac réussit à faire sourire, comme dans ses ouvrages précédents: pensons à Grande école (2012) et à Les artistes (2017), publiés au Quartanier. Ici, il poursuit la route empruntée avec ses affiches produites pour appuyer divers mouvements sociaux ou politiques. Second degré, métaphores, jeux de langage: dans La croisière ne s’amuse plus, la veine exploitée s’éloigne des représentations plus convenues de l’économie actuelle, comme la fameuse île déserte des paradis fiscaux, ou l’image du monstre tentaculaire illustrant les souterrains sauvages du capitalisme. Dans sa plus récente publication, Gaulejac déploie d’autres idées, plonge vers un passé plus lointain pour mieux rire d’un présent que l’on sent hors de contrôle, ficelé par des «maîtres» déresponsabilisés face aux pratiques de leurs entreprises.

Inspiré par les nouvelles préoccupations des ultrananti·es – par exemple les yachts, qui incarnent un «univers offshore» pour «mettre le[s] famille[s] à l’abri» (dixit Guy Laliberté), ou encore par le projet technopolitique Seasteading, une «colonisation marine» de millionnaires, qui «veulent fonder une sorte de "non-contrat social" loin de toute forme de redistribution de la richesse» –, Gaulejac crée des «centaures mi-yacht / mi-titan», étalés sur deux pages. Submergé par la curiosité liée à ses découvertes, et aussi parce que le «halo allégorique est précis et flou», l’artiste poursuit son exploration documentaire, cherchant «une figuration de l’inconscient dominateur de l’ultra-richesse». Il tombe sur une gravure représentant Marie-Antoinette, qui porte une coiffure démesurée, nommée à l’époque un «pouf», sur «laquelle flotte un navire». «L’Europe domine le monde et les "poufs" célèbrent cette domination», écrit Gaulejac à Deneault. Le premier change les vieux bateaux en complexes industriels flottants. La trouvaille force l’admiration et tire bien sûr quelques sourires, vu l’outrance de la toilette capillaire et tout ce qu’elle recèle de messages. Une vingtaine de ces bustes constellent le texte. Ils sont très amusants, mais j’aurais préféré un peu plus de variété. Entre les lignes, Gaulejac présente d’autres pièces de l’exposition, et je suis certain qu’elles auraient non seulement apporté une plus-value visuelle à l’ouvrage, mais aussi montré l’étendue métaphorique de la recherche de l’artiste et son talent créateur. Deneault, quant à lui, est égal à lui-même dans cette correspondance, usant de son scalpel rhétorique, notamment lorsqu’il définit le terme «multinationale». Mais il ne se gêne pas non plus pour abattre la hache de sa colère sur les fagots des maîtres du monde, qui «assument sans complexe n’être maîtres de rien».

Voilà une publication d’une grande qualité, qui peut se targuer d’aviver notre rage contre la machine, avec un sourire dans le poing levé.

Auteur·e·s
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Article au format PDF
Clément de Gaulejac, Alain Deneault
Traduit de l'anglais (Canada) par Jo-Anne Balcaen et Ginette Judinville
Gatineau, Galerie UQO
2022, 48 p., 15.00 $