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Mots-clics et déclics

Quand je pense au mot «vilaine», je pense à la petite Sophie de la comtesse de Ségur. Je pense aussi aux sorcières. À celles qui n’ont jamais appris la leçon.

Traduction

Quand je pense au mot «vilaine», je pense à la petite Sophie de la comtesse de Ségur. Je pense aussi aux sorcières. À celles qui n’ont jamais appris la leçon.

Kristy Diaz, Claire L. Heuchan, Jen McGregor, Laura Lam, Mel Reeve, Sim Bajwa, Rowan C. Clarke, Nadine Aisha Jassat, Alice Tarbuck, Jonatha Kottler, Chitra Ramaswamy, Belle Owen, Zeba Talkhani, Kaite Welsh et Joelle A. Owusu sont les Vilaines femmes. Traduit par Felicia Mihali (éditrice aussi à Hashtag) et Miruna Tarcau, ce recueil est paru en 2016 chez 404Ink sous le titre Nasty Women, et s’inscrit dans ce qu’on appelle désormais la quatrième vague du féminisme, qui aurait pris son essor grâce à la mobilisation sur les plateformes numériques. Entre le mouvement #YesAllWomen de 2014, le #MeToo de 2017 et la logorrhée de tweets haineux de Donald Trump, Vilaines femmes met en résonance les mouvements de dénonciations en ligne, qui se sont fait le contrepied de l’exclusion des femmes des hautes sphères de pouvoir. L’injure adressée à Hillary Clinton par Trump, «nasty woman», est ici revendiquée et subvertie par des autrices qui refusent d’être des «bonnes filles», des femmes «comme il faut».

«Dé/faire»

Vilaines femmes, ce sont quinze récits intimistes qui abordent les enjeux du sexisme, du racisme, de la médicalisation du corps des femmes, de la xénophobie, de la lesbophobie, du capacitisme, de la grossophobie, de la matrophobie et de l’intersection des discriminations dans le contexte contemporain. Il y a dans la forme de ce recueil une volonté positive englobante, un désir d’exhaustivité dans l’énumération et la déclinaison des différentes oppressions. Le livre promeut la diversité et témoigne des risques ainsi que des contradictions de l’identitaire. Assignant à un sexe, un genre, une orientation, une ethnie, les identités deviennent, malgré le carcan qu’elles représentent, des lieux de revendication et d’émancipation. Car chacune des autrices a su, d’une manière ou d’une autre, en finir avec le mépris qu’elles avaient intériorisé et parfois reproduit:

J’ai appris que le fait d’être offensée par l’exclusion n’est pas un défaut de personnalité ni un échec de ma part. C’est une réponse à une oppression réelle et constante, mais ce n’est pas la seule réponse possible.

Au moment où elles ont eu leur «déclic», qui leur a fait prendre conscience de la violence de l’impératif – tantôt implicite, tantôt explicite – de la conformité à la norme, elles ont «arrêté d’essayer», commencé à «désapprendre à chercher l’approbation des hommes» et cessé de «justifier [leur] présence». Par-dessus tout, elles n’ont «jamais arrêté d’écrire».

Nous et les autres

Ce recueil, traduction d’une publication écossaise, nous situe dans la conjoncture du Brexit et de la crise identitaire nationale – climat politique qui n’est pas étranger (certes, dans une autre mesure) à celui du Québec. En effet, ce qui surprend à la lecture des textes, ce sont les échos de la rhétorique nationaliste au sujet de la menace de l’immigration, de l’«échec du multiculturalisme» et des «dérives» du «politiquement correct». Contre la «moralité de façade» bien-pensante et facilement affichée qui nous fait croire à la fin de l’oppression et à l’égalité des chances, les récits de Vilaines femmes persistent dans le geste féministe du revirement. Ils usent de l’intime pour critiquer la prétention universaliste des valeurs nationales et identitaires. Ils révèlent tous les moyens de détournement déployés pour remettre les femmes et les minorités «à leur place».

Vilaines femmes nous engage dans la lecture. Nous nous laissons porter par les propos et la clarté de l’écriture – et de la traduction. À l’heure de la politisation des publications sur les médias sociaux, les textes de ce florilège peuvent paraître redondants en raison de leurs thèmes. Ils rendent néanmoins bien compte de la répétition essentielle aux mouvements féministes. Leur particularité réside en ce qu’ils témoignent des rapports de pouvoir et de l’existence de lieux de résistance dans le contexte de l’économie (des discours) mondiale. Ils nous présentent l’envers des propagandes et des polémiques sexuelles en ouvrant sur les possibles de la démocratisation des prises de parole. Ils montrent autre chose que le sensationnalisme ou le glamour que préfèrent les médias traditionnels grand public.

Contre les portraits brossés à gros traits, l’énonciation au «je» de ces récits prend le parti de la subtilité, de la nuance, de la singularité. À cet égard, ils créent un effet de proximité et donnent accès à des histoires et des problématiques qu’on aborde trop souvent de loin.

Auteur·e·s
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Article au format PDF
Laura Jones, Heather McDaid
Traduit de l’anglais (Écosse) par Felicia Mihali et Miruna Tarcau
Montréal, Hashtag
2021, 2248 p., 23.00 $