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«Mon corps, mon choix»

«Mon corps, mon choix»

Dans Le mouroir des anges, Geneviève Blouin s’attaque au délicat problème de la destruction non consentie du fœtus in utero. Mais ni la réflexion ni la dimension policière du roman ne vont très loin.

Polar

Dans Le mouroir des anges, Geneviève Blouin s’attaque au délicat problème de la destruction non consentie du fœtus in utero. Mais ni la réflexion ni la dimension policière du roman ne vont très loin.

Pour que le droit à l’avortement puisse s’exercer, il faut que le fœtus n’ait pas de statut juridique autonome, que sa destruction ne puisse être interprétée comme un meurtre. Les enquêteur·rices de la MRC du Roussillon en sont bien conscient·es. Les voilà chargé·es de trouver le coupable de deux avortements sanglants non voulus. Les victimes, trop surprises et malmenées, ne sauraient reconnaître leur agresseur. Seul indice: il a laissé un petit ange en plâtre, souvenir de l’expression «faiseuse d’anges», qui circulait quand l’avortement était interdit (il n’a été décriminalisé au Canada qu’en 1988, ce que ne rappelle pas le livre). Un dernier détail attire l’attention de la police: les femmes attaquées avaient toutes pris rendez-vous pour une interruption volontaire de grossesse (IVG).

Miuri, Nicole, Jacques et les autres

Ces enquêteur·rices, ce sont Jacques Deslondes, afrodescendant issu d’une famille conservatrice et opposé, à titre personnel, à l’IVG, et Miuri Mishima-Sauvé, nippo-québécoise qui a passé presque toute sa vie au Japon, où l’avortement est bien admis. Miuri est la voisine et l’amie de Nicole Aubry, secrétaire du poste de police et copropriétaire du gymnase où s’entraînent Miuri et Jacques, et où elle-même enseigne plusieurs arts de combat. Nicole est aussi l’amoureuse de Jacques et l’amie d’enfance de Cédric Roy, policier de la Sûreté du Québec (SQ) envoyé en renfort sur l’affaire. Il en pincera vite pour Miuri, et Miuri pour lui, vous vous en doutez. Car, une troisième victime étant morte d’hémorragie, et l’agresseur devenu un meurtrier, il fallait bien que la SQ s’en mêle.

Entre divers entraînements sportifs plus épuisants les uns que les autres, on discute des motivations tordues d’un possible militant anti-IVG détruisant des fœtus, qui allaient de toute façon l’être, dans le but… d’alerter l’opinion publique à propos de l’IVG? de remettre en question le statut juridique du fœtus? Il s’avère en outre que Nicole est enceinte, et ne compte pas garder le bébé. Quand elle reçoit des anges décoratifs livrés anonymement, elle est bien obligée de s’en ouvrir à Miuri, mais surtout pas à Jacques, qui heureusement a été mis sur une autre affaire: celle de l’ex-avocate Audrey Kristoferson, menacée de mort par le motard Jérôme «Le Bleuet» Tremblay, qu’elle a très mal défendu lors de son procès et qui, pour cette raison, a obtenu sa radiation du barreau.

La vie de banlieue

Le ton des dialogues et l’organisation du récit donnent au livre des allures de télésérie. Pourquoi pas? Les scènes se concentrent sur les trois personnages principaux – chez eux, au poste, au gymnase –, et on suit assez peu les autres acteur·rices du drame, suspects et témoins, qui constituent en général le cœur des romans policiers. Quant aux victimes, elles interviennent à peine dans la trame narrative. Ce qui donne tout de même l’impression que le dénouement arrive presque de nulle part; d’ailleurs, il paraît assez peu crédible (et témoigne d’une drôle de réflexion sur les enjeux politiques entourant le fœtus). La MRC du Roussillon n’est qu’un nom incarnant toutes les banlieues-dortoirs plus ou moins tranquilles. L’insistance sur cette tranquillité empêche par conséquent que le livre explore le milieu de l’extrême droite anti-IVG, seulement ébauché. La même hésitation vaut pour le crime organisé, présent lui aussi sans l’être, alors que, par définition, il entretient des liens étroits avec la police – et inversement.

Dans ses remerciements, Geneviève Blouin exprime sa reconnaissance envers l’artiste Dimani Mathieu Cassendo, qui l’a aidée à déjouer ses angles morts dans la représentation de Jacques. C’est en effet très réussi: on ne pense pas à ce protagoniste en tant que Noir, mais comme une personne à part entière, avec une histoire complexe. On regrettera que d’autres personnages n’aient pas bénéficié de cette lecture «sensible». Si Miuri devance la critique en reconnaissant elle-même perpétuer beaucoup de stéréotypes (elle mange des sushis, boit du thé vert et vit sur des tatamis), on est assez gêné·e que la narration persiste à l’appeler fréquemment «la Japonaise» (il va de soi que Nicole n’est jamais «la Québécoise»). Quant à l’ancienne avocate Kristoferson, en tant que Scandinave, elle véhicule tous les clichés sur la beauté – blancheur de peau, minceur, blondeur, yeux bleus – et est donc désignée de manière assez ennuyeuse, chaque fois qu’elle apparaît, comme «la belle», voire «la belle éplorée».

Pourtant, le livre partait de bonnes idées, il ne les a pas complètement perdues en route. Les dernières pages, certes un peu mélo, montrent une intensité dramatique qu’on aurait bien aimé lire avant.

Auteur·e·s
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Article au format PDF
Geneviève Blouin
Lévis, Alire
2022, 262 p., 25.95 $