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Avec ce premier recueil, Catherine Côté fréquente des sentiers familiaux. Ceux de la filiation et des morts, des deuils des gens qu’on n’a pas assez connus et des territoires qui vivent sous nos peaux, envers et malgré nous.

Poésie

Avec ce premier recueil, Catherine Côté fréquente des sentiers familiaux. Ceux de la filiation et des morts, des deuils des gens qu’on n’a pas assez connus et des territoires qui vivent sous nos peaux, envers et malgré nous.

Outardes est un recueil en trois temps. Dans la première partie, «Rouyn», l’Abitibi habite les pages: «le territoire s’aiguise et se referme / sur moi». La poète y crée une logique dichotomique entre la ville et la région: «je suis fille de fleuve / fille de banlieue». Entre ces deux territoires, il y a Jean, lien filial et grand-père paternel de l’écrivaine, ayant quitté le Nord pour la ville. Dans ce déplacement, il n’avait pas négligé d’avoir un pied-à-terre au cœur la forêt, «cette énormité noire et verte / qui nous avale», qu’il avait baptisé Cala, nom dont lui seul semblait connaître la provenance. Si le recueil est un chassé-croisé entre la ville et l’immensité du territoire, la poète nous prévient que «ce n’est pas un exil / mais la route du Nord / est à sens unique».

Le territoire en soi

Il y a cette volonté dans l’écriture de Côté de prolonger, voire de créer, un lien artificiel avec un concept, une personne ou un lieu qui nous sont pourtant inconnus. À la manière de la poète Érika Soucy, qui, dans son premier roman, Les murailles (VLB, 2016), a cherché par la poésie à se rapprocher de la figure mythifiée d’un père d’une autre époque, Côté vise aussi à faire un rapprochement avec un territoire qu’elle n’a jamais habité.

je garde
la folie de Montréal dans ma tête
sous ma peau
la gerçure de l’Abititbi
se fait moins sentir

La posture de Côté est celle d’une génération consciente de l’écart avec ses aïeux: «je ne vois la terre / qu’avec les yeux des autres». À l’aide de ses histoires, elle tente de définir son héritage familial et territorial, si ce n’est de le créer, même.

Dans la deuxième partie, «Cala», le souvenir est plus vif, la mission est plus claire. «je porte sur mes épaules / les gens du Nord / ils sont de plus en plus lourds». Côté parvient à ne pas tomber dans la naïveté propre aux récits familiaux, se dédouanant elle-même de son entreprise «je ferais semblant de faire autre chose / que de polir de vieux os / avec mes histoires».

C’est dans cette deuxième partie qu’elle va à la rencontre du grand-père car, écrit-elle, «je perds jusqu’à la couleur de ma peau, Jean / je me fonds dans ton corps disparu». Elle n’hésite pas à assumer sa fascination des défunts: «les morts me pèsent / depuis l’enfance». Mais le bât blesse ici: les passages sur l’héritage et la filiation sont beaucoup plus sentis que ceux dans lesquels elle témoigne de sa fascination face à la mort.

Comment bâtir une maison avec ses morts

La troisième partie nous amène ailleurs. Délaissant Jean, on découvre Mémé, grand-mère maternelle de l’auteure, récemment placée dans un centre pour personnes âgées. De ces petits oublis qui nous obligent à nous rendre compte qu’un être cher perd de son autonomie, Côté tente de faire un chapelet de souvenirs, des instants précieux qu’on garde pour soi. Dans «Maison morte», il y a la prose épousant les souvenirs et les vers évoquant «cette maison [qui] est un cœur mort / dont le sang est encore chaud». Les passages en prose sont beaucoup plus faibles que les vers de Côté. On trouve dans ces derniers l’insistance de ceux qui désirent singer une cohérence, qui martèlent une filiation s’égrainant dans le temps et la maladie. Ils viennent donc malgré eux alourdir le recueil dans la dernière ligne droite.

La poète «veu[t] [se] reconnaître / dans une photo sépia du temps/ où les hommes se tuaient à la tâche» et c’est par un réseau de souvenirs, d’endroits et de territoires divers qu’elle parvient à faire de sa famille un univers poétique. Les passages abordant la territorialité sont l’ancrage d’un recueil au rythme inégal mais aux qualités certaines. «[J]e suis agenouillée sur la route / mon sang se reconnaît/ dans cette terre incertaine». Ces vers nous dirigent par le langage vers une sorte de pèlerinage en direction des aïeuls, où la force de la démarche réside dans l’honnêteté de la poète relativement à sa propre entreprise: «les morts sont morts / je dépoussière tout croche / je suis trop vivante pour comprendre».♦

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Catherine Côté
Montréal, Les éditions du passage
2017, 104 p., 19.95 $