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Mayonnaise sino-britannique

Mayonnaise sino-britannique

XieXie propose le récit d’un triangle érotique et amoureux dans la Chine des années 1930 entre un couple d’Anglais et leur domestique chinoise.

Roman

XieXie propose le récit d’un triangle érotique et amoureux dans la Chine des années 1930 entre un couple d’Anglais et leur domestique chinoise.

Nous sommes en 1934, Raymond Vaughn prend la tête de la Lloews Coal Mining Corporation of Liverpool à Guilin, dans le sud de la Chine. Pour s’occuper des tâches domestiques, il recrute à son service XieXie, une jeune cuisinière avec qui il entretient rapidement une liaison érotique. Sa jeune épouse, Rose Vaughn, vient les rejoindre quelques semaines plus tard et cède, à son tour, au charme de la discrète mais sensuelle XieXie. Plutôt que de provoquer l’éclatement du foyer, ce triangle amoureux le resserre et le couple britannique, qui ne peut avoir d’enfant, décide de faire porter leur enfant par XieXie. La guerre sino-japonaise éclate alors, les troupes nippones s’apprêtent à mettre Guilin à sac et les époux Vaughn doivent quitter précipitamment la Chine en y laissant leur amante et l’enfant à naître. Celui-ci, Qipin Charles, retrouvera Rose en Angleterre une vingtaine d’années plus tard.

Michelle Deshaie revient, avec ce roman, sur une période particulièrement intéressante de la Chine moderne. Après l’effondrement de l’empire des Qing en 1912, la Chine affaiblie est en plusieurs endroits dominée par l’Occident. On a pu parler à ce sujet de semi-colonisation. Durant les années 1930, pendant lesquelles ont lieu les amours des Vaughn et de XieXie, les troupes nationalistes de Tchang Kaï-chek s’opposent aux communistes de Mao Zedong établis dans la République soviétique chinoise du Jiangxi fondée en 1931 avec l’appui de l’URSS. On pense notamment, en ouvrant XieXie, aux Conquérants de Malraux, qui prend pour décor cette guerre civile méconnue du public occidental. C’est avec plaisir donc que l’on s’immisce dans cette période que fait revivre Michelle Deshaie, historienne de formation et dont il s’agit ici du premier roman.

Plum-pudding

Ce plaisir serait durable s’il n’était entaché de quelques petits soucis d’écriture. Deux difficultés en particulier alourdissent un peu cette aventure amoureuse: l’artificialité des dialogues et la superficialité de la psychologie des personnages.
Ainsi, la lectrice ou le lecteur éprouve une certaine incompréhension lorsque Qipin Charles conclut ce qui sera peut-être son seul entretien — qui semble durer à peine dix minutes — avec Rose, celle qui devait être sa mère vingt-trois ans plus tôt par cette phrase:

Je vous remercie de votre accueil chaleureux. Je suis heureux d’avoir pu parler de ma mère avec vous tout comme de mon pays souffrant. J’accorderai maintenant toute mon attention à cette Hailebury School of Mines au Canada qui annonce pour moi un bel avenir.

N’aurions-nous pas pu avoir un petit peu plus de sentiment, de développement, de naturel? Et que penser de cet Anglais dont l’essentiel de la psychologie tient en cette phrase qu’il déclare à l’occasion d’un souper: «Alors Rose, il y a si longtemps que je n’ai goûté au plum-pudding. J’en rêve comme à la douceur humide du sexe d’une jeune Chinoise.» Déroutante également est l’attitude de Rose, dont il est dit qu’elle est la nièce d’une «Anglaise célibataire qui avait enseigné toute sa vie en aidant les jeunes à vivre le plus librement possible» et qui, «un matin», décide subitement de «changer de cap» et d’épouser Raymond «si peu intéressant à côtoyer et à embrasser».

Arrivée en Chine après un long voyage, venue rejoindre ce mari qu’elle ne semble pas aimer, Rose lui déclare, tout simplement: «Quelle belle occasion tu m’offres de connaître cet environnement!» Étonnante Rose. XieXie, qui ne parle que très peu anglais, reste plus mystérieuse, plus sensuelle et est de loin le personnage le mieux réussi, offrant au roman quelques petits moments de grâce: «Elle avait aussi sommeil et elle alla s’étendre au fond du jardin sous le gros arbre, sans honte et sans souffrance.» Il semblerait ainsi que XieXie aurait gagné à ce que ses personnages s’expriment moins.

Mayonnaise

Trop court peut-être, alourdi par ces dialogues peu naturels, le roman laisse qui le lit sur sa faim. Est-ce érotique, historique, psychologique? Les trois à la fois? Aucune piste pourtant ne semble aboutir. L’image qui décrit le mieux l’ouvrage est à chercher dans le livre lui-même: XieXie est une excellente cuisinière, «habill[ant] d’épices, viandes, légumes et poissons», et elle transmet son savoir à son fils, Qipin Charles, lui enseignant «les mesures de la cuisine, le chaud, le froid, le sucré, le salé,
le doux, l’amer» tant et si bien qu’à douze ans il «préparai[t] déjà un repas complet», à l’exception de la mayonnaise, qu’il n’a jamais réussi à faire prendre. «Ma mère battait la mayonnaise. Elle m’a montré la méthode, mais pour moi, la mayonnaise a toujours tourné», peut-on lire. Ainsi, Qipin Charles, de sa mère, possède tous les secrets des cuisines orientales et occidentales, mais rate toujours sa mayonnaise: la sauce ne prend pas. La recette de Michelle Deshaies aurait pu être bonne, mais la sauce n’a pas pris. ♦

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Michelle Deshaie
Ottawa, Éditions David
2018, 174 p., 22.95 $