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L'origine du monde

Ce collectif sur la maternité donne à lire diverses expériences d’accouchement. Des récits riches et généreux, certains plus que d’autres.

Récit

Ce collectif sur la maternité donne à lire diverses expériences d’accouchement. Des récits riches et généreux, certains plus que d’autres.

À chaque seconde, il y a 4,66 naissances dans le monde, c’est- à-dire 280 nouveau-nés par minute, ce qui totalise 403 200 bébés par jour. Au bout d’une année, on arrive à 147millions d’enfants.Loin d’être un phénomène rare, un accouchement reste néanmoins unique pour toutes celles qui l’ont vécu. En font la preuve les onze femmes et l’homme de ce recueil, dans des récits qui ne prétendent à rien d’autre qu’à raconter l’expérience de la mise au monde.

Comme tout collectif, le livre se caractérise par la diversité des styles et des façons d’aborder son sujet. Chacune cependant y use de sincérité, certaines se replongeant courageusement dans ce qui fut dans un même temps terreur et prodige. Parce que ces femmes sont pour la plupart écrivaines et qu’elles ont un regard réflexif sur les choses, leurs récits dépassent le déroulement des faits et évitent le sensationnalisme — même si toutes les histoires restent en elles-mêmes spectaculaires. La force de ces témoignages transcende la révélation pour chercher, dans un travail d’introspection, ce qui relève simultanément du plus trivial et du plus spirituel. «Est-ce qu’on peut se sentir démunie et remplie à la fois? Est-ce que ce serait ça, être mère?» Ariane Moffatt, en posant la question, exprime peut-être ce qui définit le plus la maternité: le doute. Loin de jouer uniquement le rôle d’importun, celui-ci rejoint des valeurs importantes que chacune, tour à tour, va expérimenter. La peur visitera le courage, la vulnérabilité fera face à la force, l’humilité sera reliée à la conscience de sa puissance. De la même manière, le doute alternera avec l’assurance, celle d’avoir vécu dans sa chair un bouleversement total. «La ligne qui traverse le bas de mon ventre ne s’efface pas. Tant mieux. On croirait la seule preuve que tu ne fus pas toujours sur terre.» L’expression «donner la vie» prend tout son sens dans ce récit de la dramaturge et metteuse en scène Alexia Bürger, qui a navigué entre la vie et la mort pendant plus de quatre mois avec son prématuré avant qu’il soit considéré comme hors de danger. «Il paraît que pour renaître il faut n’avoir plus rien à perdre.» On imagine ce qu’il a fallu d’abandon et de renoncement pour traverser en plusieurs semaines à peine une double naissance.

Pro[création]

On ne peut parler de procréation sans parler de création, surtout quand les autrices sont des artistes, et de la dichotomie entre prendre soin et se réaliser. Bien sûr, les deux ne s’opposent pas systématiquement, on peut très bien s’épanouir en s’occupant de sa progéniture. Mais on ne peut devenir mère sans réfléchir aux raisons qui nous y ont conduite et à l’inscription de ce geste dans la réalité. «Les abîmes de ce conflit, entre la sauvegarde de soi et les sentiments maternels, peuvent représenter (et ce fut le cas pour moi) une véritable agonie. Cette douleur-là n’est pas la moindre des douleurs de l’enfantement», écrit la théoricienne féministe Adrienne Rich dans l’essai Naître d’une femme publié en 1980. Avec le même souci de creuser la vérité, Éveline Marcil-Denault affirme sans ambages qu’«[ê]tre mère, c’est réaliser qu’on pourrait perdre sa raison d’être, se morceler et sombrer dans la folie». Ou plus loin: «La maternité ne m’a pas déçue, mais elle m’a beaucoup fatiguée.» C’est ce souci de ne pas tomber dans un sentimentalisme exacerbé qui intéresse le plus dans ce collectif dirigé par Elsa Pépin. La journaliste et écrivaine a su laisser libre cours au ton et à la forme personnelle de chacune sans chercher à formater l’ensemble. Ce qui en fait une réunion de textes distincts se répondant à travers un même spectre, celui de la maternité. Pourtant, quelques-uns des récits auraient mérité plus d’approfondissement et pour ceux qui acceptent de faire le voyage d’exploration, on aurait aimé que se poursuive la recherche dans la langue pour qu’arrive à se nommer ce qui est en somme indicible. «Dans l’enfantement comme dans les derniers jours de la vie, on sait ce qu’on est en train de perdre, mais on ne sait pas ce qu’on va retrouver», écrit l’autrice Julie Hétu, qui a vécu son deuxième accouchement à la maison accompagnée d’une sage-femme. Elle amène son propos à la lisière de la vie et de la mort, démontrant avec éloquence la charge mixte de la naissance.

La maternité a peu été racontée et pensée au Québec ces dernières années. On voit cependant poindre quelques ouvrages heureux, Mère d’invention de Clara Dupuis-Morency, Les tranchées et Les retranchées de Fanny Britt en sont des exemples. Ce moment de profond changement qui s’opère est pourtant foisonnant et s’insère dans la sphère personnelle, mais aussi sociale, féministe, politique, fictionnelle,etc. Espérons que Dans le ventre saura faire office de précédent. ♦

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Mélikah Abdelmoumen, Anaïs Barbeau-Lavalette, Alexia Bürger, Maxime Catellier, Martine Delvaux
Montréal, XYZ
Quai no. 5
2019, 216 p., 22.95 $