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L'étoile de la forêt

Un «astre mystérieux» qui décontenance par son souffle exploratoire, difficile d’approche, mais nourrissant sur le plan philosophique.

Essai

Un «astre mystérieux» qui décontenance par son souffle exploratoire, difficile d’approche, mais nourrissant sur le plan philosophique.

Dans le milieu du cinéma, le nom de Marie-Claude Loiselle est souvent lié à la revue 24 images, dont elle a été la rédactrice en chef pendant vingt-trois ans. On la connaît aussi pour son essai sur le cinéaste André Forcier et sa communauté indomptable (Les Herbes rouges, 2017) – cinéaste pour qui elle a été conseillère à la scénarisation. Elle a également collaboré au montage et à l’écriture du film Combat au bout de la nuit (2017), du documentariste Sylvain L’Espérance.

Dans Des forêts du cinéma, elle s’intéresse à plusieurs figures comme Nicolas Klotz, Élisabeth Perceval, Lav Diaz, Tariq Teguia et celle qui «éclaire nos nuits», Marguerite Duras. Explorant leurs œuvres, l’autrice, aidée aussi par ses lectures, se questionne sur ce qui est révolutionnaire aujourd’hui.

On regrette la facture visuelle époustouflante du premier titre de la collection «Nitrate». Si X P Q: traversée du cinéma expérimental québécois (Somme toute, 2020) était un hybride entre le livre-objet et l’essai, force est d’admettre que les derniers titres de la collection basculent plutôt du côté de l’essai conventionnel. Néanmoins, «Nitrate» affirme, par maints détails, sa direction artistique. Les lecteur·rices retrouveront avec plaisir la signature visuelle toujours aussi belle et moderne de Marie Tourigny. De plus, cette collection propose un corpus assez peu exploité dans le monde de l’essai au Québec: le cinéma expérimental et d’animation.

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Ceux et celles qui s’attendent à lire une variation du livre sur André Forcier, mais qui porterait sur d’autres cinéastes, seront déçu·es, car la forêt que Loiselle s’apprête à franchir est dense. Disons-le: le livre est parfois abscons, tant le style est chargé. Faut-il entrer dans la même sylve obscure que Dante lui-même au mitan de sa vie, et laisser ici tout espoir? Le propos est en effet très riche et foisonnant d’idées. L’essayiste propose un terreau fertile en réflexions, bien qu’il vaille mieux y aller à petites doses. La forêt offre un puits infini d’images pour ancrer son propos, mais je dois admettre que je ne comprends pas toujours la nécessité de cette métaphore.

L’ouvrage souffre d’un manque de mise en contexte des films cités (ne serait-ce qu’un synopsis), et comme l’analyse porte sur des scènes bien précises, avec des personnages tout aussi précis, la lecture est ardue; on finit replié sur soi. De plus, comme les filmographies des cinéastes analysé·es sont peu connues du grand public, passer quelques lignes sur un film pour ensuite virevolter à un autre est parfois déboussolant. Bien qu’il soit, par instants, foudroyant, «aphoristiquement» puissant, le propos manque d’ancrage clair. L’aspect exploratoire, voire expérimental, de l’écriture est certes séduisant; toutefois, j’ai trop souvent eu de la difficulté à me situer dans l’essai et dans ce que raconte Loiselle. Sans repères, les lecteur·rices sont vite décontenancé·es, comme perdu·es en mer, à la recherche d’une bouée qui leur permettrait de faire raccord avec le propos et avec ce qui les ferait agir à l’extérieur des films. Je n’aime pas particulièrement l’ordre dans un livre, j’aime m’y promener et m’accrocher à quelques branches; un petit débroussaillage aurait néanmoins été de mise. Est-ce un problème éditorial ou un défaut de méthodologie? Dur à dire. Les éléments entourant la question initiale du projet – à savoir ce qui est révolutionnaire – sont souvent court-circuités par le sentiment d’égarement que suscite la juxtaposition de plusieurs autres textes mis à l’appui. Belle trouvaille, toutefois, que ce dialogue, vers la moitié de l’ouvrage, rassemblant un collage d’extraits de Fernando Pessoa, de Jean-Luc Nancy, de Virginia Woolf et de Rodney Saint-Éloi.

La révolutionnaire

Les cinéastes étudié·es ne sont pas que des objets de savoir: ils et elles agissent comme des moteurs de réflexion pour les lecteur·rices et l’autrice, dont le verbe poétique flamboyant regorge d’idées et de réflexions incarnées sur notre monde contemporain. L’intérêt de l’œuvre ne réside pas nécessairement dans l’examen des qualités esthétiques et sociales des films, mais dans l’analyse de leurs répercussions sur notre «être-au-monde», comme en témoigne ce passage:

[C]es blocages soulèvent la question sous-jacente de savoir comment mettre en échec ce qui oppresse, ce qui empêche de respirer. Comment faire de l’écriture du cinéma un acte respiratoire? Par quels moyens insuffler dans le corps et le regard du spectateur l’oxygène essentiel au déploiement de sa conscience comme à la vie même? La respiration: signe de ce qui est vivant.

Des passages comme celui-là (nombreux au demeurant) nous font croire que Des forêts du cinéma est le livre d’une véritable écrivaine, d’une philosophe même. Les forêts de Marie-Claude Loiselle sont luxuriantes comme une forêt boréale dans sa plus grande splendeur. L’autrice a trouvé son lieu; il ne lui reste qu’à contenir la formule.

Auteur·e·s
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Article au format PDF
Marie-Claude Loiselle
Montréal, Somme toute
Nitrate
2022, 200 p., 24.95 $