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Les mots comme un filet de voix

Les mots comme un filet de voix

Il se fait tard est un bilan au soir de l’écriture; le récit d’une vie et d’un temps hors de toute rhétorique d’espoir ou de désespoir, alors que se rapproche la mort.

Thématique·s
Récit

Il se fait tard est un bilan au soir de l’écriture; le récit d’une vie et d’un temps hors de toute rhétorique d’espoir ou de désespoir, alors que se rapproche la mort.

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Je ne connaissais pas l’œuvre de Gilles Archambault. Je connaissais la personnalité publique et sa voix, déjà entendue à la radio. La lecture de son livre Il se fait tard a été une rencontre avec l’étrangeté: celle d’un âge, d’une histoire, d’un monde littéraire qui ne me sont pas familiers et qui me semblent, de prime abord, assez lointains. C’est peut-être la possibilité de ce rendez-vous dans la distance, et ce qu’Archambault me permet de comprendre du temps qui file et s’éteint lentement, qui ont piqué ma curiosité; un temps qu’il m’est difficile de ne pas appréhender dans son accélération, son urgence. Ce récit, qui paraît au Boréal, offre justement cela: une expérience du ralenti.

Le risque d’une disparition

Ce rythme est bien sûr le fruit de l’âge, de l’expérience de l’écrivain – qui en est une de «grande fragilité» et de «précarité». La force de ce projet réside à mon sens dans les descriptions qu’Archambault fait de ses défaillances, dans les observations curieuses et parfois inquiètes devant la trivialité du corps qui flanche: «À vrai dire, si je suis léger quand j’aborde le sujet du vieillissement et de la mort, c’est que je suis tout étonné de me trouver dans cet état de décrépitude.» Comme s’il avait besoin d’une mise à distance pour saisir la bizarrerie de cette condition humaine, l’auteur propose un récit divisé en plusieurs petits chapitres qui racontent autant de façons d’appréhender la mort. Revenant sur son œuvre, évoquant sa vie avec sa femme décédée, le suicide d’une amie ou bien la maladie d’une autre, fantasmant la «belle» mort de Stendhal, recherchant dans les histoires passées les traces de ce qui a déjà été, il tente à son tour, semble-t-il, de trouver le moyen de «[q]uitter le monde aussi discrètement» qu’il y est entré; de trouver une voie de passage vers ce néant qu’il n’a jamais approché, sinon en voulant «décrire [s]on inconfort de vivre».

Il y a en effet, dans le ton et le point de vue d’Archambault, un mal-être qui provient peut-être d’une résignation, dont on ne saurait dire si elle est paisible ou pessimiste. S’il admet l’attrait de ces périodes où la littérature l’occupe et l’a occupé, l’auteur remarque que «[v]ieillir est surtout une mise au rancart progressive», et que «[c]e qui se passe dans une vie est bien peu de chose[s]». «[N]e souri[ant] plus tellement», il écrit la banalité et l’apitoiement qui sont le propre d’une pensée rencontrant l’absurdité de l’événement final. On souhaiterait parfois, au fil de la lecture, que le romancier et essayiste sorte de cette sourde complainte. Mais si j’en suis agacée, je me dis qu’elle est peut-être la réussite et la singularité de son écriture. Celle-ci a, malgré sa blancheur et son ton timoré, un effet avéré. C’est bien là le pouvoir et le privilège qui reviennent à celui qui a vécu.

Comme un autre

Les idéalistes grinceront peut-être des dents lorsqu’ils et elles liront que «l’écriture […] aura été [pour l’auteur] une occupation qui en vaut une autre» – phrase qui tombe comme un verdict et dont on craint ou refuse la possible véracité. Entre le rejet et l’abandon du geste, Archambault récidive lorsqu’il confie qu’il «n’hésit[e] pas à [s]e donner le mauvais rôle». Ce dernier serait-il celui de cette «vieille chose dans [s]on genre» à qui personne ne fait plus de confidences? On sent dans l’écriture le désir lancinant de rejoindre l’autre en trouvant «les mots les plus convaincants» et on demeure ému par cette vie qui a laissé sa trace, aussi fragile et commune puisse-t-elle paraître au narrateur.

Il se fait tard a la force du temps et d’une perspective sur un monde maintenant assombri par les urgences sociales, politiques, climatiques. S’ouvrant sur la pandémie de covid-19, cette œuvre superpose l’imaginaire de la mort à celui de la fin. Deux termes: l’un inexorable, l’autre imprévisible. En cela, cette œuvre peut éclairer, sans réjouir ni rassurer, ce qui menace l’existence de tout un chacun.

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Gilles Archambault
Montréal, Boréal
2021, 120 p., 18.95 $