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Les derniers humains

Je le mentionnais dans ma critique de Rabaskabarnak, d’Éric St-Pierre, parue dans le numéro précédent de Lettres québécoises: nous assistons depuis quelque temps, au Québec, à un engouement pour les œuvres postapocalyptiques.

Littératures de l'imaginaire

Je le mentionnais dans ma critique de Rabaskabarnak, d’Éric St-Pierre, parue dans le numéro précédent de Lettres québécoises: nous assistons depuis quelque temps, au Québec, à un engouement pour les œuvres postapocalyptiques.

Nous sommes actuellement au troisième et dernier stade de cette effervescence: la publication de récits drôles et parodiques sur la fin du monde. À l’instar de Rabaskabarnak, Une fille pas trop poussiéreuse, de Matthieu Simard, s’inscrit dans la lignée des fictions eschatologiques qui souhaitent mettre l’humour au premier plan: le roman est d’ailleurs qualifié de «comique» en quatrième de couverture.

Avant Jeudi-Cinq

Jusqu’à ce que survienne l’apocalypse, un Jeudi-Cinq, le narrateur du roman, Matthieu Simard, écrivain, coule des heures aussi paisibles qu’ennuyantes en compagnie de sa conjointe Julie. Deux jours avant la fin du monde, les Montréalais s’approvisionnent chez Costco. Julie veut entre autres se procurer une mijoteuse, même si un modèle inutilisé trône déjà dans une armoire. S’ensuit une discussion sur les mijoteuses entre Julie et Matthieu: il s’agit sans contredit des pages les plus amusantes que j’ai lues depuis longtemps.

La deuxième mijoteuse — identique à la première — est à l’origine de la séparation du couple, puis du départ de Julie, qui quitte leur appartement en laissant à Matthieu les multiples denrées du Costco. C’est ce qui permet d’ailleurs au narrateur de survivre au moment de la fin du monde, laquelle prend l’aspect d’une «couverture de suie, partout, comme un fondant sur un gâteau cheap, qui épous[e] toutes les formes de la ville». Matthieu peut ainsi passer des mois tapi dans son logis, seul, à s’entretenir avec Maude, la plante exotique de Julie. Maude sera en quelque sorte son premier amour postapocalyptique, puisqu’il entreprendra par la suite de lui raconter l’ensemble de ses triomphes conjugaux.

Le titre, Une fille pas trop poussiéreuse, annonce le programme du roman, clairement énoncé en page 34: «D’un chapitre à l’autre, ce sera la palpitante énumération de mes relations postapocalyptiques.» Car le narrateur a du succès avec ces dames osseuses et cendreuses.

Nos blessures d’apocalypse

Une fois à l’extérieur, Matthieu poursuit ses conquêtes, se ralliant d’abord à la frénésie sexuelle qui s’est emparée de l’île de Montréal, en proie à une canicule extrême. Pourtant, dès qu’on s’éloigne de la métropole, un froid arctique assaille les promeneurs transis. Est-ce crédible, un tel microcosme climatique? J’en doute. Et ce n’est pas parce qu’on choisit la tonalité humoristique que l’on peut se permettre des invraisemblances.

Matthieu, après avoir fréquenté les gens de la Source, visite brièvement la nouvelle enclave du métro montréalais, ampute une jeune femme aimée, avec qui il a fait connaissance sur le toit du café Les derniers humains (belle idée), puis prend la route vers l’est, en direction du fleuve. Sur le chemin, entre son logement et le Saint-Laurent, il fera des rencontres importantes qui l’amèneront à repenser son rapport au monde.

Une fille pas trop poussiéreuse s’avère une sorte de roman d’apprentissage. Le narrateur, égoïste et obnubilé par sa quête de succès amoureux, est fort peu altruiste. Il deviendra une personne meilleure grâce à une rencontre assez prévisible avec un être bon, doux, rédempteur. Il en résulte une conclusion en phase avec l’ensemble du livre: bien lisse — trop en ce qui me concerne. La phrase finale renvoie au titre, ce dernier étant filé dans la totalité de l’ouvrage. Un peu programmatique, tout ça. J’aurais aimé être plus surprise par le déroulement de l’intrigue, ses idées, ses protagonistes — un personnage se prénomme même Eve…

Nous sommes les débris d’un effondrement

Matthieu Simard a une prose agile et possède indiscutablement le sens du détail signifiant, comme j’avais pu le remarquer dans Ici, ailleurs (Alto, 2017). Une fille pas trop poussiéreuse ne fait pas exception à cette règle, et j’ai noté plusieurs passages dans un carnet afin de les relire ultérieurement, dont celui-ci: «Je suis davantage bois mort que saumon.» Et l’échange sur les mijoteuses est hilarant! La plupart du temps, l’humour est maîtrisé, bien qu’inconstant par moments: «Je ne manquerais pas ça pour tout Lord Durham.» Hum! Hum! Julie l’affirme formellement à Matthieu après avoir lu son manuscrit: «On dirait que t’as plogué toutes les jokes plates pis les mauvais jeux de mots que t’avais pas réussi à ploguer jusque-là.»

Il faut donc considérer Une fille pas trop poussiéreuse pour ce qu’il veut être: un récit d’amour comique postapocalyptique. L’écrivain relève le mandat avec une plume aguerrie, même si j’aurais souhaité mieux percevoir les conséquences sociales et environnementales de l’effondrement du monde, sentir davantage la poussière du titre s’infiltrer dans les bronches.

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Matthieu Simard
Montréal, Stanké
2019, 200 p., 22.95 $