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Légende d'autrefois

La question qui turlupine nombre de Québécois, celle qui divise des familles et qui gâche nombre de soupers: où a été inventée la poutine? La réponse se trouve ici.

Bande dessinée

La question qui turlupine nombre de Québécois, celle qui divise des familles et qui gâche nombre de soupers: où a été inventée la poutine? La réponse se trouve ici.

Le scénariste Alexandre Fontaine Rousseau est reconnu pour son imagination, son intelligence et sa drôlerie. Les albums Pinkerton, Poulet Grain-Grain (La Mauvaise tête) et Les premiers aviateurs (Pow Pow) regorgent d’humour et de personnages décalés. Il s’adjoint, pour La pitoune et la poutine, les services du dessinateur Xavier Cadieux, dont le style graphique rappelle celui de François Samson-Dunlop, qui avait dessiné Poulet Grain-Grain et Pinkerton, mais en plus achevé, plus détaillé. La dédicace au début de l’album situe bien ce qui nous attend au fil des pages: «Les auteurs tiennent à demander pardon au vrai de vrai Jos Montferrand, qui était sans doute un ben bon gars. Ce livre est une source négligeable d’informations historiques véritables. Le ton est donné.

Les castors ont tout inventé

L’album s’ouvre sur une explication de ce qu’est la drave, ou, comme nous l’indique le castor qui sera le narrateur tout au long de l’histoire, le surf du nord. Nous y rencontrons Jos Montferrand, Québécois légendaire, dont l’exploit le plus marquant aurait été, lors d’une bataille avec un groupe d’immigrés irlandais, de s’emparer de l’un d’eux par les pieds et de se servir du pauvre homme pour envoyer à l’eau soixante-quinze de ses compatriotes. À travers les planches, ce nombre de victimes variera, Jos ayant tendance à l’exagération. Il aurait aussi accompli une autre prouesse lors d’une soirée arrosée au rhum. Sans argent pour payer ses excès, il aurait parié qu’il pouvait étamper son talon au plafond! Ce qu’il fit. Dans l’album, ça en devient même une habitude, ou comme le fait remarquer justement le narrateur: «On va s’le dire, c’était rendu gossant son affaire.»

Un soir, dans une taverne, Montferrand entend un ouvrier raconter comment il a évité une gueule de bois monumentale en mangeant un mets inconnu des masses en cette fin de XIXe siècle: la poutine. Jos, pour qui chaque soirée est une occasion de trop boire, se met donc en route à la recherche de ce trésor fromager. La première partie du périple se fera à bord de sa pitoune de voyage, que Xavier Cadieux prend plaisir à dessiner sur deux planches entières. Vous n’aurez jamais vu autant de luxe dans un billot de bois, j’en suis convaincu. Le dessinateur rythme le récit en changeant souvent la configuration de ses planches: parfois, elles contiennent plusieurs cases; à d’autres endroits, seulement deux ou trois. Les cadrages varient aussi, particulièrement dans les séquences où Montferrand accomplit ses «exploits».

Jos se promène d’un village à l’autre à la recherche de cette fameuse poutine. De Rigaud, «ville pas fréquentable fréquentée par des gens pas fréquentables», où «[l]a taverne du crotté dégueulasse ben chaud» accueille des clients toujours prêts à se battre, à L’Île-Bizard, où toute la population marche sur les mains et parle à l’envers, de nombreux obstacles se dressent devant Jos. Il est même fait prisonnier par un groupe de draveuses, les «Bûches Babes», des femmes vivant sans hommes. Il réussit à s’en échapper pour se retrouver dans une réserve de castors, où il apprend que ces derniers sont responsables de la création du monde.

Dans toutes les planches, les dialogues sont extrêmement drôles et le scénariste mêle habilement les niveaux de langue. Plus le récit avance, plus les auteurs s’amusent à nous étonner. Le lecteur se sent comme Jos Montferrand, qui surfe de surprise en surprise sans pouvoir deviner la suite.

Encore les curés

Sur les conseils des castors, Jos se rend au village de Saint-Shack-à-Patate-du-Lac, là où, selon la rumeur, on sert de la poutine. Dans ce village typiquement québécois de cette fin de XIXe siècle, les langues sont liées quant à l’existence d’un tel plat. Or, à la messe du dimanche à laquelle assiste Jos, le curé sermonne ses paroissiens qui ne se laissent pas tenter par la poutine. Alors que le narrateur nous explique que toutes les règles sont conçues pour être enfreintes, Jos arrive finalement à se sustenter de ce divin mets. S’ensuivent une sainte colère de Montferrand, qui n’accepte pas que les curés disent à la population comment penser, une bagarre avec des moines ninja, un prêtre littéralement démasqué et la naissance de la Révolution tranquille. Les anachronismes sont nombreux et, surtout, tous plus rigolos les uns que les autres.

En dépit de ses cent quatre-vingts planches, jamais le lecteur n’a l’impression qu’on étire la sauce (brune, bien sûr). Le trait gros, mais jamais grossier, de Xavier Cadieux ajoute une couche de drôlerie à l’hilarant scénario d’Alexandre Fontaine Rousseau. On remet ça bientôt, les gars? ♦

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Alexandre Fontaine Rousseau, Xavier Cadieux
Montréal, Pow Pow
2019, 186 p., 24.95 $