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Le salut par le sexe?

Le salut par le sexe?

Personne n’échappe à son emprise. Il nous pousse parfois au pire dans l’espoir du meilleur. Il est mystérieux, insaisissable, tyrannique. Le désir n’en demeure pas moins un affect qui s’explique.

Essai

Personne n’échappe à son emprise. Il nous pousse parfois au pire dans l’espoir du meilleur. Il est mystérieux, insaisissable, tyrannique. Le désir n’en demeure pas moins un affect qui s’explique.

Explorer la complexité du désir sexuel est le pari que relève Michel Dorais dans cette réédition de l’essai La mémoire du désir, paru à l’origine en 1994 à VLB éditeur. Le sociologue québécois, spécialiste des genres et des sexualités, offre une version améliorée de son ouvrage, suffisamment modifiée, confie-t-il, pour inverser les termes du titre, qui devient ainsi Le désir en mémoire. Dorais se pose en vulgarisateur et suggère un parcours en trois étapes pour comprendre la prégnance du désir dans nos vies: «Les origines», «Les significations», «Les aléas».

Le désir, l’amour, c’est toujours la rencontre de deux personnes qui furent dans le passé frustrées ou traumatisées. C’est une raison pour laquelle la passion peut s’avérer si dévastatrice: son objet touche nos émotions les plus vives, nos souffrances les plus profondes, nos attentes les plus démesurées.

Pas de souvenir, pas de désir

La dynamique de l’attraction sexuelle a son siège dans le cerveau, au niveau neuronal, ce qui contredit l’idée populaire que les pulsions seraient essentiellement liées aux hormones. Qu’on puisse être influencé·es dans le choix du ou de la partenaire idéal·e en raison de nos expériences personnelles est un fait admis. Le désir à l’origine de nos coups de cœur n’a rien de rationnel, en ce qu’il est tributaire des manques de la petite enfance; ces frustrations, ces traumatismes subis à notre insu laissent dans notre mémoire des traces, de puissants «engrammes» à la mécanique implacable. Dorais, reprenant les travaux du psychanalyste Robert Stoller, va plus loin encore: «L’orgasme ne serait rien d’autre que la transformation en triomphe d’un traumatisme ancien de l’enfant, de l’adolescent ou même de l’adulte.» Ce concept central pourra surprendre, voire choquer (l’auteur le reconnaît volontiers). Difficile de penser que la jouissance provient d’abord de la résolution symbolique des traumas du passé. «Comme si seule l’imminence du plaisir, de l’euphorie et de l’orgasme arrivait à raccommoder les déchirures du passé et à contenir un instant nos peurs ou nos vides existentiels.» Le moteur principal, ou la quête infinie du désir, découlerait donc du désespoir de parvenir un jour à trouver la personne (la relation) capable de soigner nos blessures les plus intimes. Vaste programme à peu près irréalisable, et particulièrement audacieux.

«Tortionnaire et libérateur»

Les dynamiques cachées au cœur de l’attraction sexuelle intéresseront sans doute quiconque s’est demandé pourquoi il ou elle était aux prises avec le même scénario amoureux, surtout quand il se révèle malsain et risqué. Du moment que l’on comprend et qu’on accepte la théorie voulant que le désir soit avant tout une expérience mentale, on ne s’étonne plus de choisir le même type de partenaire, ne serait-ce que pour pouvoir nous venger à travers lui des torts psychiques déjà subis. Sommes-nous pour autant condamné·es à jouer, ou à faire jouer à l’autre, (toujours) magnifié, un rôle pour lequel il ou elle n’a pas signé au départ? Avons-nous le pouvoir de modifier les fantasmes et les scénarios sexuels inconscients, qui nous libèrent autant qu’ils nous enchaînent? Puisqu’il nous est impossible de réécrire notre passé, on peut à tout le moins éviter d’empirer ou de revivre inlassablement nos traumatismes. Malheureusement, si nous avons une idée claire du contenu de nos désirs, il est plus rare que nous soyons informé·es de leurs motivations, à condition de nous soumettre à un travail ou à un exercice psychanalytique dont très peu de gens ont les moyens. Qu’à cela ne tienne, l’auteur ouvre une brèche, qui produit son effet à quelques pages de la fin: «La sexualité est une façon, mais pas la seule, de soulager nos tensions et d’exorciser le passé. L’amitié, l’amour, la création, les réalisations professionnelles, le don de soi, voire la spiritualité, sont autant d’exutoires aux angoisses ou au mal de vivre.» «Grâce au ciel», a-t-on envie d’ajouter. La sexualité, rappelle l’essayiste, ne peut non plus éviter un système de valeurs qui fait intervenir des stratégies conscientes pour contenter nos appétits physiques.

En conclusion, Michel Dorais précise, à juste titre, que le désir est un champ d’études qui commence à peine à être exploré. Sa contribution a le mérite de sortir la notion de plaisir du seul cadre de l’histoire de la sexualité. Impossible, en effet, d’envisager les manifestations individuelles de l’attraction sexuelle sans tenir compte de ses racines collectives. Qu’on pense au corps bien en chair de la nourrice, femme idéale à l’époque de la Renaissance, «avec ses seins volumineux, sa peau laiteuse et ses formes pleines». Autres temps, autres désirs! Autres stéréotypes contraignants, surtout.

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Michel Dorais
Québec, Presses de l'Université Laval
2022, 202 p., 17.95 $