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Le recueil de ville et le recueil des champs

Le recueil de ville et le recueil des champs

Sarah Marylou Brideau propose un fort ancrage géographique à sa poésie, avec en filigrane une histoire d’amour à distance assez convenue. Malgré une lecture mitigée, quelques fulgurances méritent d’être soulignées.

Poésie

Sarah Marylou Brideau propose un fort ancrage géographique à sa poésie, avec en filigrane une histoire d’amour à distance assez convenue. Malgré une lecture mitigée, quelques fulgurances méritent d’être soulignées.

Les vents de Memramcook est le quatrième recueil de l’autrice, qui publie maintenant depuis vingt ans. Fortement influencée à ses débuts par l’œuvre de Gérald Leblanc, Sarah Marylou Brideau présente une suite poétique dont les références littéraires et musicales (Patrice Desbiens, Marie-Jo Thério,etc.) rappellent justement le grand poète acadien. Or, l’écrivaine ne tombe pas dans le piège des poèmes référentiels (hormis un texte qui appartient à cette esthétique des années 1990). L’ensemble repose plutôt sur des déplacements géographiques et amoureux entre Memramcook, le berceau de l’Acadie, Montréal, la capitale francophone de l’Amérique, et Montmartre, quartier bien connu du dix-huitième arrondissement de Paris. Formant un triangle scalène, ces trois lieux se complètent plus qu’ils ne s’opposent et nourrissent l’imaginaire de Brideau.

Amours déçus

La fin d’une relation constitue le point de départ du recueil. La locutrice choisit alors de quitter son Acadie natale pour se diriger vers Montréal. Lorsqu’elle laisse de côté les sentiments amoureux, la poésie de l’espace immédiat témoigne du talent indéniable de Brideau. À Montréal, les hirondelles et les moineaux deviennent «une caresse dessinée / sur fond d’air gris». Quand la locutrice revient chez elle, la saison hivernale est bien installée. Seule, elle note:

dans le renfoncement des vagues
   enneigées
    les replis des champs
le passage occasionnel d’une    
   motoneige
tranche l’haleine impérieuse de l’hiver

L’autrice utilise la neige et le froid comme des leitmotivs qui reflètent ses états d’âme. Les jeux d’opposition entre le noir et le blanc sont frappants. En ce sens, la photo en couverture met également en évidence ce contraste. La neige au sol et le ciel gris-blanc écrasent les maisons et les arbres. À travers son évocation de la nature, la poète finit par sortir de cet hiver dans les dernières pages du livre: «sous le clapotis des feuilles / je m’imprègne de la brunante / des bâillements lumineux du jour».

Entre le fantasme de la grande ville et la quiétude de la ruralité originelle, les vers se maintiennent dans un équilibre précaire. Les poèmes qui participent d’une certaine géopoétique sont parfois minés par ceux qui traitent de la relation entre le «je» et le «tu». La chute du recueil propose des vers dignes d’une chanson populaire, qui détonnent lorsqu’on les compare à la force d’autres poèmes:

si t’étais jamais parti
j’aurais peut-être jamais su
à quel point je voulais que tu sois ici

Ces passages, dont «une cordée de
bois / pour chauffer mes hivers», tombent à plat et nuisent à l’unité du propos. Heureusement, ils ne sont pas légion, et la force de l’œuvre réside dans les liens créés entre la locutrice et les lieux qui l’entourent.

Monsieur Welch et le «je»

Au-delà de la poésie lyrique des amours déchus, Brideau met en scène un personnage fort intéressant qui contribue à une certaine narrativité des textes. Monsieur Welch représente l’ouverture à l’autre, l’homme qui donne son opinion sur tout et sur rien et qui nous laisse songeur·ses par ses raccourcis. Sa présence offre un répit aux bouillonnements intérieurs de la locutrice. Cette dernière, qu’elle soit à Montréal ou en milieu rural, s’abreuve à la polysensorialité des paysages: «mais ses entrailles urbaines / bourdonnent encore en moi / tressaillent dans leur envie de venir au monde». Ou encore: «balafrée de bourrasques / sur les collines / je m’élance sur le territoire».

On finit toutefois par se demander si le voyage constitue la cause des tourments amoureux ou plutôt leur remède. S’agit-il d’une fuite en avant ou d’un nouveau regard vers l’avenir? Au fond, est-ce vraiment important quand on comprend que la route, à l’instar des déplacements ou des voyages, devient «une extension du soi / qui sonde les paroles / frémissantes d’histoires»? Alors que les deux premiers ouvrages de Brideau, Romanichelle et Rues étrangères (respectivement parus en 2002 et en 2005 au éditions Perce-Neige), témoignaient des soubresauts de l’école Aberdeen – un groupe de poètes parrainé·es par Gérald Leblanc entre 1990 et le début des années
2000 –, cette dernière publication montre que l’écrivaine est rendue ailleurs, ou plutôt qu’elle est en déplacement vers un ailleurs poétique.

Il existe des livres pour lesquels un certain lectorat n’est pas le bon public. Les vents de Memramcook en fait partie, pour le lecteur que je suis. Ce constat ne signifie pas qu’il s’agit d’une offrande quelconque. Le charme n’opère pas complètement, même si le recueil comprend de magnifiques vers.

Auteur·e·s
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Article au format PDF
Sarah Marylou Brideau
Moncton, Perce-Neige
2022, 112 p., 20.00 $