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Le premier polar zen?

Un roman qui réussit à nous faire réfléchir à des problématiques modernes incontournables sans parvenir à véritablement nous émouvoir.

Thématique·s
Polar

Un roman qui réussit à nous faire réfléchir à des problématiques modernes incontournables sans parvenir à véritablement nous émouvoir.

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Lorsqu’on aborde une série policière sans commencer par le début, il arrive qu’une sorte d’inquiétude vienne un peu gâcher l’expérience, comme si on avait peur de manquer quelque chose, de rater une blague d’initié, qu’on serait le seul à ne pas savoir apprécier. Mais, entrant pour la première fois dans l’univers de Johanne Seymour (huit polars dont deux mettant en vedette Rinzen Gyatso), ce n’est pas ce que j’ai vécu. J’ai plutôt été immédiatement intrigué par ces personnages contrastés, bien construits, crédibles: la sergente Gyatso donne le ton à ce roman policier… pas très policier. Fille d’immigrés tibétains, bouddhiste pratiquante, elle possède ce regard généreux, sur les humains et les choses, qui fait d’elle une bonne enquêtrice, mais aussi, surtout, une force stable au sein de sa famille élargie.

Luc Paradis, son partenaire de travail qui en bon Don Juan fuit ses démons par des rencontres intimes fugaces et des séances de boxe effrénées; le lieutenant Gerry Desautels, leur patron en pleine crise de vocation qu’il tente de conjurer de son mieux en écrivant ses souvenirs (mal) enfouis; la famille de Rinzen (son jeune fils sensible et curieux, ses parents bienveillants, plus traditionnels que modernes): toutes ces personnalités contribuent à une histoire sous le signe de la diversité, souvent intéressante, parfois même touchante.

Suspense, quand tu nous tiens. Ou pas

L’enquête policière proprement dite, par contre, nous laisse sur notre faim, un peu comme si elle était un prétexte pour aborder ces thématiques. Cela commence par la découverte du cadavre de la chica fea («la fille laide»), au visage défiguré, son infâme surnom marqué à la cigarette sur le corps. Cette violence est-elle le fait de quelqu’un qui la connaissait? Si les mots sur sa dépouille sont un message, à qui est-il destiné? En tentant de découvrir l’identité de la fille laide, on s’intéresse au garçon qui l’a trouvée, et qui semble en savoir bien plus que ce qu’il ose dire. Sa petite famille arrivée du Mexique il y a quelques années pourrait être moins tranquille qu’il n’y paraît. Si seulement l’un d’entre eux acceptait de parler. Malheureusement, cela n’arrivera pas avant que surviennent d’autres crimes violents…

Voilà une intrigue assez classique, plausible même. Peut-être trop, en fait: après avoir jonglé avec leurs meilleures hypothèses (les crimes seraient en lien avec la ville de Ciudad Juárez et le cartel du même nom), nos enquêteurs trouvent la réponse en passant le bon appel à la bonne personne à la GRC, et le tour sera joué. Il me semble que beaucoup d’enquêtes doivent se résoudre ainsi dans la «vraie vie» (quand elles sont résolues); toutefois, c’est un peu court pour l’amateur de polar, qui préfère souvent plus de passion dans sa lecture, des pages qu’on tournerait avec moins de patience. Du suspense, quoi!

Une épine: Rosa

Entre-temps, le roman et ses différentes parties auront composé un ensemble thématique assez sympathique, une sorte de synthèse des problématiques de l’acceptation des différences, de l’inégalité et de la violence faite aux femmes. La protagoniste nous aura bien guidés dans ses pensées avec sa bienveillance. Toutefois la «démonstration», si c’en était une, aurait pu en avoir moins l’air, s’ancrer davantage dans la fiction, drainée par elle pour ainsi dire. Un détail m’a agacé tout au long du roman: dans les extraits des mémoires du lieutenant Desautels qui nous sont donnés à lire, le policier raconte une histoire qui l’a marqué lorsqu’il était jeune, le meurtre d’une chanteuse de jazz noire, Nina Parks. Ce détail agaçant, c’est le nom que Seymour a choisi de donner à la fille de la victime: Rosa. «Rosa Parks» revient dans tout le texte de Desautels. Or le lecteur aura reconnu le nom de cette Afro-Américaine qui a refusé, le premier décembre1955, de céder sa place à un passager blanc dans un autobus à Montgomery, en Alabama, déclenchant ainsi un vaste mouvement contre la ségrégation aux États-Unis. Pourquoi avoir donné le nom de cette pionnière de l’égalité à un personnage secondaire du roman? Aucune explication ne nous est fournie et Desautels, dans «son récit dans le récit», ne relève pas la coïncidence! J’ai attendu, à tort je m’en rends compte, que ce détail se résolve d’une façon ou d’une autre.

Rinzen. La beauté intérieure présente un beau projet loin d’être inintéressant, mais qui aurait pu, qui aurait dû, être bien plus émouvant. Je pense qu’il aurait fallu nous raconter cette histoire avec plus de détails et de lenteur, nous brosser un contexte plus étoffé. On croirait lire le compte-rendu «à tête reposée» de la protagoniste, un point de vue légitime, mais pas très romanesque finalement. Trop zen, peut-être? ♦

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Johane Seymour
Montréal, Libre expression
2018, 272 p., 24.95 $