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Le poing brandi et la main tendue

Le poing brandi et la main tendue

Blaise Ndala, dans ce formidable troisième livre, ausculte ce qui n’a pas changé depuis le zoo humain belge de 1958.

Roman

Blaise Ndala, dans ce formidable troisième livre, ausculte ce qui n’a pas changé depuis le zoo humain belge de 1958.

Puissant roman entremêlant deux temporalités distinctes, Dans le ventre du Congo se présente comme une quête des origines, une enquête pour élucider la disparition de la princesse du peuple Bakuba, Tshala, survenue quelque temps avant la tenue de l’Exposition universelle de 1958 à Bruxelles. Dans un premier temps nous sont racontés l’essor et la chute du royaume Bakuba dans ce qui deviendra le Congo. Le récit a l’étoffe des légendes et le ton des contes, où la magie fait partie du quotidien. On pense aux classiques africains Tout s’effondre (1958), de Chinua Achebe, et La saison de l’ombre (2013), de Léonora Miano. Ces œuvres dépeignent des mondes riches en mythes et en traditions, qui ne tardent pas à se fracasser sur les récifs de l’alliance de la Sainte Trinité et des non moins saintes Lois du Marché. Il y a dans le livre de Blaise Ndala cette atmosphère de fin d’époque, de crépuscule culturel qui annonce la triste hégémonie des missionnaires, des esclavagistes (déguisés ou non) et des pilleurs de tombes que l’on adoube ministres dans l’indifférence générale de l’Occident. La terre est désormais ronde, et l’Ouest peut se trouver partout, à condition qu’on soit Blanc. Les dynasties s’effondrent, les rois noirs paient leurs impôts, les princesses récurent les planchers des internats, et les princes deviennent de la chair à canon.

L’éclairage douteux des messies

Tshala, dans la candeur de sa jeunesse, s’énamoure d’un colon au verbe haut qui lui fait miroiter l’ardeur de la passion, avant de cruellement l’abandonner aux sales pattes de son partenaire d’affaires. La découverte de la liaison entre les deux tourtereaux suscite l’ire du dernier des rois Bakuba, Kena Kwete III. Sévices et déportation entraînent Tshala à Bruxelles, aux pieds de l’Atomium, où l’on recrée le tristement célèbre village congolais. Là-bas, des êtres humains doivent démontrer par l’exemple à quel point le mode d’existence de leurs ancêtres était barbare, et comment l’homme blanc ainsi que Léopold II leur ont apporté la lumière en messies miséricordieux.

Voilà pour la portion Congo belge de l’intrigue, qui rend aussi hommage à Wendo Kolosoy et à ses rumbas endiablées, puis au charismatique héros national Patrice Lumumba et à son combat pour l’indépendance. Il faudrait faire plus longuement l’éloge de cette partie du livre, mais l’espace, malheureusement, manque. Soulignons tout de même que l’intrication des éléments historiques et fictionnels est admirablement achevée, et que chaque personnage semble fait de chair et de mots qui lui sont propres. Ndala possède un grand sens du récit et comprend profondément l’humain dans toute sa diversité.

Troquer l’insulte pour l’injure

La seconde portion du roman nous transpose des dizaines d’années plus tard dans le Bruxelles des migrant·es, alors que Nyota Kwete, la nièce de Tshala, enquête sur le destin de son ancêtre entre deux boulots dégradants et mal payés. Vous le devinez, le racisme ne tarde pas à ressurgir. On lançait des bananes à l’époque du zoo humain; désormais, les hooligans d’une équipe écossaise poussent des cris de singe quand Passy, le joueur étoile (d’origine congolaise) des Belges, marque le point décisif. L’écrivain continue ici de jazzer avec l’Histoire en faisant en partie référence au drame du Heysel, survenu en 1985. Les partisans des deux équipes avaient alors transformé le stade en champ de bataille pour laisser derrière eux trente-neuf morts.

Mais il n’y a pas que des tares à compter au bilan de la modernité, et l’on croise chez Ndala des personnages en quête de réconciliation. Le mémorable Jeff l’Africain, anthropologue belge et dramaturge à ses heures, est certainement de ce nombre. Ces protagonistes sont autant de poings brandis et de mains tendues: ils nous incitent à regarder le charnier de l’histoire droit dans les yeux et à ne les détourner que pour contempler un avenir exempt d’atrocités perpétrées au nom d’un vulgaire taux de mélanine. Je vous laisse sur les mots, le style, l’humour, la fougue et l’intelligence de Ndala, qui diront bien mieux que moi toute l’importance de Dans le ventre du Congo.

Tenant dans sa main son chapeau de paille que le vent n’avait pas arrêté de faire valser durant la marche, le Flamand enfourcha sa bicyclette avant de se fondre dans l’épaisseur de la nuit, tel un fantôme géant. […] Peut-être que l’enfant que Nathalie Tielemans donnera à ce pays trouvera dans le livre d’histoire écrit par la princesse des Bakuba une raison de nettoyer Bruxelles de toutes les ordures qui la défigurent?

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Blaise Ndala
Montréal, Mémoire d'encrier
2021, 61 p., 29.95 $