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Le passage du temps

Quand on connaît l’œuvre de Gilles Archambault pour l’avoir fréquentée pendant de nombreuses décennies, on se dit que le titre de son dernier recueil de nouvelles est terriblement prophétique.

Nouvelle

Quand on connaît l’œuvre de Gilles Archambault pour l’avoir fréquentée pendant de nombreuses décennies, on se dit que le titre de son dernier recueil de nouvelles est terriblement prophétique.

En fait, c’est plus nuancé. Il s’agit aussi du titre de la dernière des vingt-quatre nouvelles, qui ne fait que deux pages et qui montre «un homme plus très jeune» préoccupé par le malaise qu’il a à aller à des lancements. Il se demande s’il n’a fait qu’effleurer la vie. «La question, je me la pose avec plus d’insistance depuis que j’ai quitté le monde de l’enfance.» Cela remonte donc à loin, mais n’étonne pas ceux qui ont lu Enfances lointaines (Boréal, 1992) ou Un homme plein d’enfance (Boréal, 2012).

Après des dizaines de livres (romans, nouvelles, récits et essais) depuis plus de cinquante ans, Archambault poursuit sa course discrète en montrant inlassablement des êtres à la dérive, mais qui se débattent toujours au milieu ou à la fin d’une existence désespérante. Le recueil est comme une galerie de portraits de petites et grandes misères.

Des vies labyrinthiques

Le journaliste de «Deux petits lacs» est devenu une «sorte de traîne-savates vaguement intellectuel», qui se «clochardise», se torture atrocement en pensant «à cette volonté d’autodestruction qui, depuis l’adolescence, [l]e visite». La nostalgie de l’enfance surgit dans «On promène les enfants» où un vieil homme observe un garçon dont la tristesse lui rappelle l’enfant qu’il a été. Autre figure plus complexe de l’enfance dans «Heureux nous vivons»: un homme de soixante ans se remémore l’enfant brillant qu’il a été, mais qui aimait les voyous tout en désirant devenir écrivain. Il le deviendra, mais sans être certain d’avoir rendu sa femme heureuse. Archambault a le génie de ces nouvelles qui ont l’air tout simple, mais qui sont de véritables labyrinthes discursifs.

La nostalgie du passé, la mort, l’amour et l’amitié s’entremêlent dans le recueil, le traversent de bout en bout. La vie du narrateur de «Mon père» est ainsi chamboulée le jour où la dernière compagne de son père l’informe de la mort de ce dernier. Il se rend aux funérailles, mais à la fin Éros aura le dessus sur Thanatos. Inversion du scénario dans «Une si belle fille», pour l’homme de soixante-cinq ans que l’on pousse à la retraite. Cet homme marié, au «bonheur organisé» est hanté par l’image de la défenestration d’une belle fille aimée trente ans plus tôt. Dans «Hommage au disparu», c’est par la télé que le narrateur apprend la mort d’un ami, écrivain oublié, ce qui a pour effet de le «rapproche[r] de [s]a propre mort», lui qui à vingt ans se croyait, comme son ami, éternel. L’amitié est mise à mal dans «Reste la douceur» où des retrouvailles sont amères. Mis à la porte des années auparavant parce qu’il dénigrait les écrits de son confrère qu’il considérait comme des ébauches, cet ami lui avoue avoir couché avec sa femme. Trop bon, le narrateur lui pardonne à cause de la douceur de sa voix.

Entre l’amour et la mort

Dans un tout autre décor, un professeur de dessin industriel s’amourache d’une journaliste pigiste trente ans plus jeune que lui, dans «Je veux m’éclater». Elle le quitte sur un coup de tête, mais il la retrouve à Arles où il va pour «rendre grâce à Paul-Jean Toulet», sans que cet hommage soit explicité. Elle lui avoue avoir tenté de se suicider, mais qu’elle reste en vie pour son fils. À la fin, il évoque encore Toulet pour sa douceur. Rappel pour les happy few: «Dans Arles […] Prends garde à la douceur des choses» (Chansons. I.Romances sans musique. «En Arles»). Encore ce labyrinthe narratif… Autre incidence littéraire, cette fois plus explicite, dans «Avec une douleur consciente» montrant un homme qui se retrouve seul après une aventure avec une femme qui lui a offert un livre d’Apollinaire dont il lit des passages érotiques.

Quelques textes ont des relents autobiographiques, sans en être nécessairement. Disons avec prudence des autofictions… Dans «Les bienfaits de la promenade», un «réalisateur de radio», veuf à la retraite, s’installe dans un appartement situé près d’un parc à Westmount où il rencontre une femme avec qui il se lie. Lorsqu’elle part, il ne bouge plus de chez lui.

C’est entre le meilleur et le pire que le narrateur de «L’enfant dormait» se retrouve: il est émerveillé par sa petite fille de sept mois qui lui fait penser à sa mort à lui, mais aussi à sa vie à elle.

Malgré tout, Combien de temps encore? ne baigne pas dans une atmosphère morbide, même si la figure de la mort plane sur l’ensemble du décor. C’est là le secret de Gilles Archambault, dont le style épuré, presque léger — comme flottant sur le tragique humain — transcende l’œuvre.♦

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Gilles Archambault
Montréal, Boréal
2017, 140 p., 18.95 $