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Le lointain est ici

Désignant à la fois une contrée immémoriale et une nation de l’à-présent, Nisso, la cité sur le Soleil réactive et invente un savoir mythologique ancré dans la tradition poétique. Dans ce livre, Jonathan Charette continue de jeter les bases d’un lyrisme contemporain.

Poésie

Désignant à la fois une contrée immémoriale et une nation de l’à-présent, Nisso, la cité sur le Soleil réactive et invente un savoir mythologique ancré dans la tradition poétique. Dans ce livre, Jonathan Charette continue de jeter les bases d’un lyrisme contemporain.

De l’hymne national aux armoiries, du costume traditionnel à la formation scolaire des citoyen·nes, une écriture fortement imagée et éminemment métaphorique construit sous nos yeux la cité fantastique de Nisso. Chaque poème agit comme la brique d’un bâtiment, la pierre d’un pavé, la couleur d’une étoffe, et forme peu à peu, dans un excès stylistique maîtrisé, une collection de tableaux, à la manière de la série La tour de Babel, de Brueghel. Après Je parle arme blanche (2013), La parade des orages en laisse (2015), Ravissement à perpétuité (2018) et Biographie de l’amoralité (2020), tous publiés au Noroît, ainsi que La passion de Cobain (L’Écrou, 2021), Jonathan Charette poursuit une même voix, une même poétique de l’éternel et de l’intemporel dans Nisso, la cité sur le Soleil. Or, avec ce dernier titre, son écriture se prête à un tout autre projet, d’emblée plus pragmatique: celui de donner à voir une société et un territoire imaginés; de faire comprendre aux lecteur·rices les codes qui mettent en place un tel lieu.

115 fructidor. Initiation des enfants de douze ans. Ils quittent leur famille et subissent une série d’épreuves. Apprendre le dialecte du feu et parler par crépitement; planter un petit poignard dans leur cuisse sans broncher; boire une once de clarté sans hurler; chasser une bourrasque et transporter son cadavre sur le dos. Accueil vibrant à la fin de l’aventure.

D’une partie à l’autre du recueil, les scènes et les rêveries surprenantes prolifèrent. Bien que loin d’être réalistes, les images que déploie Charette se figent dans l’esprit et rendent perceptible une construction fabuleuse. Extrêmement autoréférentiel, Nisso, la cité sur le Soleil se présente d’abord à nous comme une œuvre au sein de laquelle la poésie seule permet la fable. 

Chet Baker, Jonathan Charette, Eurydice et Huguette Gaulin

La toponymie du livre amalgame des noms de personnalités publiques, d’écrivain·es, de figures mythologiques, d’icônes populaires, de pays réels et inventés. C’est entre autres à travers les descriptions des territoires et des géographies que le recueil présente une forte intertextualité. La nation en devenir est pluriculturelle et plurilingue; elle emprunte à de multiples disciplines, savoirs et époques: «Van Gogh et ses iris impulsifs / Nas avec une radiocassette / Annie Lafleur les paumes pleines de ciguë». Les références littéraires fusent, donnant l’impression que l’univers qui se déploie devant nous est entièrement construit par la lecture. Ce monde contiendrait tous les autres, dans une parfaite cohabitation entre le réel et l’imaginaire. En cela, Nisso, la cité sur le Soleil a quelque chose de borgésien qui évoque les nouvelles de Fictions (1944), dans lesquelles, essentiellement, la littérarité a le pouvoir de transfigurer le vraisemblable et le mensonge. Après tout, «il n’y a pas de règles / pour s’abîmer / dans l’éblouissement».

Une mappemonde à épeler

Les grandes artères de Nisso sont constituées de mots, et les vies des habitants sont circonscrites par une poésie et une fiction si bien orchestrées qu’elles donnent une autre signification à la fabulation littéraire. La structure du recueil, changeante selon les sections, devient la carte géographique et sociale de cette nation utopique, qui n’existerait pas sans l’apport crucial des lecteur·rices. La disposition graphique des vers sur la page et le sens de la lecture semblent indiqués dans les titres des parties. De «La chute» à «L’ascension» – qui se décodent, respectivement, du haut vers le bas, puis du bas vers le haut –, la convention de la linéarité est remise en question. Charette, par un travail minutieux sur les sens (polysémie voulue), montre qu’il est «impossible de déchiffrer le sens / malgré une aisance avec les langues».

Que l’œuvre s’inspire d’abord de lieux, d’images et de personnages réels, ou qu’elle s’enracine dans un imaginaire dystopique qui se rapproche des nouvelles de science-fiction, Nisso, la cité sur le Soleil a la particularité de présenter des constructions poétiques et linguistiques interchangeables, qui participent à la création de fresques inattendues. Si Carole David, Stanley Kubrick, la NASA, José Acquelin et Claude Monet peuvent un jour se côtoyer dans un même espace, c’est inévitablement dans un recueil de poésie.

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Jonathan Charette
Montréal, Le Noroît
2023, 112 p., 22.95 $