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Le flic était presque parfait

Le flic était presque parfait

Après une longue absence, Jacques Côté publie un cinquième roman mettant en scène l’enquêteur Daniel Duval. Malgré une intrigue plus mince qu’à l’habitude, le charme opère toujours.

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Après une longue absence, Jacques Côté publie un cinquième roman mettant en scène l’enquêteur Daniel Duval. Malgré une intrigue plus mince qu’à l’habitude, le charme opère toujours.

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Le polar québécois existait timidement, au tournant des années 2000, quand Jacques Côté a publié la première enquête de Daniel Duval. Depuis, l’auteur est devenu l’un des plus respectés du genre dans la Belle Province. Il faut dire que le polar lui-même a grandi à la même époque. Sa présence en librairie, autrefois presque gênée, est maintenant bien assumée. On peut dire que le polar québécois et Jacques Côté ont mûri ensemble.

Où le soleil s’éteint, son dernier livre, s’est fait attendre. Le précédent tome de la série, le quatrième, remontait à presque dix ans! Les nombreux amateurs de Duval ont dû apprendre à patienter, Côté partageait sa plume entre de nombreux projets apparemment tous voués au succès. L’attente aura-t-elle valu la peine? Indiscutablement.

On retrouve toutes les qualités qui ont fait la marque et le succès de la série, et en premier lieu ce que j’appellerais son humanité. On est au plus près des personnages témoin de leurs délits et de leurs pensées, de leurs doutes et de leurs colères. Chez Côté, pas de génie du crime à la Hannibal Lecter, pas de poète tueur en série comme chez Michael Connelly. Non, plutôt des hommes et des femmes de chair et de blessures comme ceux que l’on côtoie tous les jours. À commencer par le flic, Daniel Duval, un drôle de moineau du point de vue de la construction du personnage. Plutôt qu’un alcoolique, un rebelle, un homme au passé violent qui menace de ressurgir, comme dans les cent derniers romans policiers que vous avez lus, l’auteur a choisi d’en faire un gars parfait, ou presque: un homme intelligent, travailleur, respectueux de l’autorité et fidèle, jusqu’à maintenant. En allant dès le début contre l’une des lois du genre, Côté semblait prendre un gros risque, mais il gagne son pari. Daniel Duval est aimé de ses lecteurs, parfois même adoré. Pour l’anecdote, une lectrice a déjà demandé à l’auteur de lui présenter le vrai Daniel Duval, qui malheureusement pour elle, n’existe pas.

Le roman raconte l’histoire de Benoît Ayotte, un gangster prospect qui vient de rater sa chance de faire le «grand club» en abattant par erreur un pauvre père de famille. Il est en cavale dans la province; son plan est simple, trouver quelqu’un qui pourrait le cacher un moment, le temps qu’il émigre «aux États». Mais il laisse de sanglants indices de son passage, et bientôt c’est la police qu’il a aux trousses, plus que son ancienne bande. Voilà une intrigue assez convaincante, mais ce n’est pas là la force du livre. Ce qui est frappant dans Où le soleil s’éteint est plutôt — je ne dirais pas la vraisemblance — mais la vérité psychologique et sociale.

Pour qui a été adolescent au début des années 1980, chaque détail paraît vrai. Les petits criminels ont l’air réels avec leur langage, leurs vêtements, leurs obsessions (leur vision des femmes!), on croirait rencontrer deux gars de mon village, ou du village voisin, dont les noms auraient été changés. Même chose avec les personnages secondaires; on les connaît, on les admire (la belle Mireille, brillante biologiste et collègue de Duval) ou les méprise (le gros Louis, son partenaire simple et vulgaire). On est sur le même terrain que Dennis Lehane, peut-être, ou, pour faire une comparaison plus obscure, que Donald Harstad: du «polar de terrain», des histoires qu’on entend au bulletin de nouvelles parce qu’elles sont arrivées «près de chez nous». Avec Côté, comme souvent d’ailleurs dans le polar québécois, c’est en se positionnant à hauteur humaine qu’on réussit à s’imposer, en faisant un portrait au ras du sol, impitoyablement; lucidement diraient certains. En allant à l’inverse des grandes tendances commerciales du genre (chaque opus de Connelly ressemble à un fantasme de téléfilm, chaque aventure de Robert Langdon, du Da Vinci Code, semble avoir été écrit pour Tom Hanks), Jacques Côté et ses confrères ont fait entrer le genre dans son âge adulte.

En même temps, on dirait bien que le cycle Daniel Duval touche à sa fin. Quelques indices nous donnent à penser qu’Où le soleil s’éteint boucle la série de cinq titres commencée avec Nébulosité croissante en fin de journée (Alire, 2000); ce n’est pas un hasard si les deux livres (et les deux enquêtes) ont une structure semblable: d’un côté un tueur, déterminé, en colère, de l’autre un policier méthodique, sérieux, honnête. Pas de mystère sur l’identité de l’assassin, pas de surprise finale, pas de whodunit. Juste une intrigue humaine au possible, menée avec un grand métier. Enfin, mais c’est peut-être anecdotique, les chapitres sont tous intitulés selon des expressions consacrées de la météorologie: «ciel variable», «chaud et humide»,etc. Un clin d’œil au premier titre de la série? Cette autre ressemblance entre le premier et le dernier Duval est peut-être aussi un indice que Côté a fini de raconter ce qu’il avait à raconter; nous préférons croire que c’est Duval qui a grandi, et que c’est à nous lecteurs de le laisser aller. Quitte à le retrouver, mûri, dans un futur que l’on espère pas trop éloigné.♦

Auteur·e·s
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Jacques Côté
Lévis, Alire
2017, 366 p., 27.95 $