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Le feu couve sous la braise?

Littérature congolaise

À l’heure actuelle, la littérature congolaise d’expression française, grâce aux diverses initiatives privées, sort petit à petit de sa léthargie. Ces dix dernières années ont été marquées par une montée croissante de la conscience littéraire des plumes de tout âge, ce qui a permis l’éclosion de nombreux talents, malgré les défis majeurs auxquels se heurte l’écriture en République démocratique du Congo. Certes, il faudra du temps et des moyens conséquents pour revivre l’essor qu’elle a connu dans les années 1970, 1980 et 1990.

Depuis sa genèse, la littérature congolaise a exploré une mosaïque de thèmes de prédilection. Mukala Kadima-Nzuji évoquait, en 1998, dans la revue Présence africaine, deux âges d’or dans l’existence de cette littérature: de 1945 à 1965, et de 1966 à nos jours1.

La critique Ngwarsungu Chiwengo nous révèle dans «Littérature congolaise: imaginaire et miroir de l’urgence sociale» que la littérature d’urgence congolaise est «la conscience historique qui infléchit la conscience de l’histoire, un médium thérapeutique permettant aux lecteur·rices de transcender le traumatisme national» et qu’elle est «susceptible d’articuler le devenir».

Comme fondement du métadiscours des réalités congolaises, elle est le contre-discours à la domination culturelle occidentale et nationale, à l’effacement de la voix nationale, au traumatisme des dictateurs, aux invasions et conflits économiques et sociaux entretenus. Aussi condamne-t-elle la domination théologique, politique, et prône le nationalisme, la reconstruction de l’identité congolaise en affirmant le désir du Congolais d’autodéterminer son futur dans un pays où les vérités sont extirpées d’euphémismes politiques 2.

Il suffit de faire une randonnée dans les œuvres d’Antoine-Roger Bolamba, Paul Lomami Tchibamba, Valentin-Yves Mudimbe, Georges Ngal, Pius Ngandu Nkashama, Masegabio Nzanzu, Mukala Kadima-Nzuji, Clémentine Faïk-Nzuji, Philippe Elebe Lisembe, Charles Djungu-Simba, André Yoka Lye Mudaba, Blaise Ndala, Fiston Mwanza Mujila, Ikanga Ngozi, Antoine Tshitungu Kongolo, Albert Mongita, Kasereka Kavwahirehi Mwenge, Matala Mukadi Tshiakatumba, Kama Sywor Kamanda, Stanis Wembonyama Onitotsho, Achille Ngoye, Thomas Kanza, José Tshisungu wa Tshisungu, Sinzo Aanza, Jean Bofane, Vincent Lombume, Jean-Paul Ilopi Bokanga, Jule Lomomba Emongo, Charly Mathekis, pour approuver la thèse de Ngwarsungu Chiwengo.

La revue La Plume vivante: une vitrine d’expression libre

Dans sa traversée du désert, la littérature congolaise a eu besoin d’initiatives fortes et savantes pour combattre l’assèchement du milieu littéraire et encourager les plumes en herbe à prendre la relève. Redonner de l’énergie au secteur littéraire, de la création à la diffusion, est le leitmotiv de la revue et de l’association La Plume vivante que je dirige et dont je veux parler ici, ainsi que d’autres structures littéraires ou culturelles congolaises, à l’instar des éditions Nzoi, des éditions Elondja, du Café littéraire de Missy, du Tarmac des auteurs, des Librairies Médias Paul et Paulines, de L’Harmattan-Kinshasa, de la Librairie Book express, et de la Librairie Grands Lacs.

Le travail abattu jusque-là porte peu à peu ses fruits malgré l’analphabétisme récurrent, l’urgence du quotidien, le poids de la tradition, l’absence de mécénat et d’une politique culturelle nationale. Cette énergie privée a apporté de l’illumination au mouvement de la Conscience collective RD congolaise, dont le rôle s’avère substantiel dans les mécanismes de développement de l’espace littéraire, de libération, d’émancipation et de formation de l’imaginaire – des éléments incontournables pour le progrès d’un peuple.

La douleur existentielle de la littérature congolaise, causée par la léthargie, avait besoin d’un baume. Ainsi, la revue La Plume vivante est apparue à un moment charnière 3

  • 1. Mukala Kadima-Nzuji, «La République démocratique du Congo: un demi-siècle de littérature», Présence africaine, vol.2, n° 158, 1998, consultable en ligne sur [cairn. info].
  • 2. Ngwarsungu Chiwengo, «Littérature congolaise: imaginaire et miroir de l’urgence sociale», Présence francophone: revue internationale de langue et de littérature, vol. 87, no1, 2016.
  • 3. Pierre Benetti, «Vu d’autres pays. De la littérature au Congo», En attendant Nadeau, 23 mai 2017, en ligne sur [www.en-attendant-nadeau.fr].[/fn]. Il y avait un ardent désir d’offrir à la jeunesse congolaise, ou africaine, un espace de libre expression de ses pensées. La revue La Plume vivante sensibilise au travail de mémoire, à la sauvegarde des valeurs démocratiques, ainsi qu’à l’éducation à la citoyenneté et à la reconnaissance de l’altérité.

    Les massacres et les viols, la guerre, la dépravation des mœurs, la montée de l’obscurantisme et du fanatisme religieux, la corruption et l’égocentrisme ont donné un souffle nouveau à la poésie émotionnelle et engagée des écrivain·es en herbe: Harris Kasongo, Yann Kheme, Kelly Mowendabeka, Justy Chi, Yolande Elebe, Jonas Kambale, Fabrice Lukamba, Innocent Mwendo, Benoit Bachuvi, David Neembe, Gilbert Kikoma, Tristell Mouanda Moussoki, Fidèle Mabanza Mbala,etc. Au Congo d’aujourd’hui, la littérature comme facteur social et culturel pousse les écrivain·es, même les intellectuel·les africain·es, à orienter leur lutte contre les maux précités.

    En effet, dans cette revue, les auteur·rices transgressent certaines restrictions imposées par l’autoritarisme, et ne voilent pas la vérité. Ils et elles s’expriment avec un ton parfois grave, sec, intimidant, mais qui traduit leurs convictions. Ils et elles assurent avec beaucoup de liberté leur tâche de griot, d’éducateur, d’enchanteur…

    La Plume vivante offre donc à ses lecteur·rices une littérature remplie de vie, exempte de haine, d’oppression, d’inconscience, de peur ou de violence, tournée vers l’humain, où le parfum du beau, du vrai et du bien se ressent dans chaque mot.

    Cette revue de littérature congolaise, qui est aussi une fenêtre ouverte sur d’autres littératures, est menacée de disparition, faute de ressources financières régulières. L’absence de mécénat et de subventions à la culture en République démocratique du Congo est un véritable obstacle à l’émergence de ce généreux support de communication, un outil indispensable dans l’accompagnement, la promotion et la diffusion des cultures vivantes. En effet, les animateur·rices de la plume congolaise, de l’intérieur ou de sa diaspora, sont tou·tes animé·es par une volonté manifeste de travailler au rayonnement de leur littérature, nonobstant les divers écueils liés à l’exercice de leur travail d’écriture. Préservons cette flamme de l’espoir afin de porter haut la voix de l’Autre, qui a désormais une bouche, la nôtre.

     


    Fiston Loombe Iwoku est né à Goma (République démocratique du Congo) en 1984. Cet écrivain-poète congolais est le fondateur de la revue et de l’association La Plume vivante. Avec ces deux structures, ce défenseur de la culture congolaise ambitionne d’organiser des activités littéraires en RDC et en Afrique.

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