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L'appel du territoire

Pour réinvestir sa liberté, la voix poétique d’Atiku utei retourne vers le cœur du caribou, espace intouché où elle peut guérir, en suivant l’appel du territoire.

Poésie

Pour réinvestir sa liberté, la voix poétique d’Atiku utei retourne vers le cœur du caribou, espace intouché où elle peut guérir, en suivant l’appel du territoire.

Atiku utei. Le cœur du caribou, dernier livre de poésie de Rita Mestokosho, s’ouvre sur la photographie d’une jeune fille en habit traditionnel, les mains jointes, le regard mi-clos au-dessus de son sourire. Debout sur des pierres dissimulées en partie par le lichen, elle pose: ses cheveux épousent la forme du vent, tandis que, derrière elle, se fondent en un seul point de vue la mer et l’horizon. D’emblée, nous assistons au désir d’archivage de la poète, qui prend le soin d’exposer elle-même la culture autochtone, au lieu de laisser l’imaginaire aux lecteur·rices, ce qui influencera par la suite les autres images déployées dans les vers. Mestokosho écrit en «partageant les valeurs innues à son rythme», comme nous l’apprenons dans sa biographie. Impossible de ne pas sourire à notre tour – complices, telle la petite sur la photographie – devant cette information qui dévoile un processus créatif valorisant la lenteur, dans un système dominant formaté pour l’exclure. C’est de cette même lenteur qu’émergent les poèmes du recueil, autant de portages nés de la terre et arpentés dans son silence.

Le cœur de l’humanité

En retournant vers le lieu initial de l’humanité, soit le cœur du caribou, l’énonciatrice réintègre un rythme bien à elle: celui de la liberté. Ce mot n’existe toutefois pas en innu-aimun, même si plusieurs poèmes nous donnent d’abord à lire cette «belle langue qui chante / et raconte», avant de la traduire en français. Il n’y a pas de traduction adéquate, car en réalité, le français échoue à rendre compte de ce qui s’éprouve par l’expérience en fréquentant Nutshimit, le territoire de l’infini. Les enfants nomades, les êtres du tapis de sapin, les ancêtres et les chasseurs, en le traversant, répondent à «l’appel de la forêt [qui] aiguise / l’instinct», y compris lors des journées de mauvais temps, pour assister au rayonnement des couchers de soleil, puis au mystère qui subsiste une fois les couleurs disparues. L’équilibre de la communauté se trouve dans cette avancée, qui la rapproche de l’animal sacré – le caribou – et de ses précieux enseignements; son cœur représente le centre du courage, la partie qui ne meurt pas, mais survit dans l’âme, permettant enfin au sujet poétique de pénétrer dans l’espace de la guérison.

Coupée du vent

La liberté apparaît parfois comme une quête, celle des coutumes du passé, aussi celle d’un avenir à refaire, alors que les violences coloniales ont créé un gouffre entre les deux temporalités. La sédentarisation, dépeinte par l’image fixe de la chaise, a voué tout le peuple de la poète (et d’autres) à l’immobilité, perturbant de la sorte sa symbiose avec la terre:

peiku tshishiku

un jour

epian tetapuakanit

sur une chaise

nitinniun ekue pikupanit

ma vie a basculé

Dans la langue innue – nous ajoutons –, le mot «école», «katshishkutamatsheutshuap», se traduit littéralement par «maison où l’on apprend». Le concept d’école, tel que nous le connaissons, n’existe pas, tandis que celui de la maison demeure à revoir en fonction de l’histoire de la colonisation. La racine du terme indique que le lieu de la connaissance est «là où l’on apprend», c’est-à-dire dans l’étendue du territoire, en cueillant des fruits sauvages avec les sien·nes, en écoutant la pluie ou les promesses du caribou. Le sujet poétique mentionne que sa maison, celle entre quatre murs, ne lui appartient pas véritablement: «ma maison est ailleurs», lisons-nous, dans un endroit qui laisse entrer le vent. Quant aux apprentissages des allochtones, ceux qu’on intègre assis sur une chaise, ils sont contraires aux pratiques ancestrales des Autochtones, lesquels charriaient des bibliothèques complètes sur la nature en écrivant: «sur la ligne de la mémoire / de cette façon, [leur] bagage était moins lourd».

Le dernier mot

Les références évoquées dans Atiku utei. Le cœur du caribou sont liées à d’autres réalités: elles prolongent le chemin vers la liberté, en passant par la commémoration du massacre de Wounded Knee en 1890; l’amour sacré des montagnes chez les Anangus, que l’énonciatrice nomme ses frères; ou encore par la longue suite poétique «Un jour Madiba m’a dit», placée à la fin du livre, dans laquelle l’écrivaine fait cohabiter son univers avec celui de l’Afrique du Sud. Après la lecture de poèmes aussi émouvants, nous restons en silence, ébahi·es, d’autant plus que le recueil est en lui-même une invitation à l’écoute. Une humilité naît devant les images et l’étonnement qu’elles créent, alors qu’à la fin, c’est la terre, rappelle la poète, qui aura le dernier mot.

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Rita Mestokosho
Montréal, Mémoire d'encrier
2022, 176 p., 19.95 $