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La poésie m’a sauté dessus un samedi

La poésie m’a sauté dessus un samedi

Ce n’est pas moi qui ai trouvé la poésie. C’est elle qui m’a attrapé dès que j’ai voulu secouer les mots sur une grande feuille lignée pour en dessiner tous les contours.

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Ce n’est pas moi qui ai trouvé la poésie. C’est elle qui m’a attrapé dès que j’ai voulu secouer les mots sur une grande feuille lignée pour en dessiner tous les contours.

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J’avais quinze ans, peut-être moins. Autant l’avouer, mon premier poème m’a été livré à l’épicerie de mon beau-frère. J’y travaillais le vendredi soir et le samedi toute la journée jusqu’à vingt-deux heures. Des journées où je tenais la caisse, emballais les achats des clients et allais placer le tout dans les autos. Une vingtaine d’heures en tout pour cinq dollars. Le salaire minimum était vraiment minimum alors.

Un monsieur Nadeau d’un âge vénérable, autour de la soixantaine, venait souvent au magasin pour parler de tout et de rien. Pour passer le temps qui filait trop vite selon son goût, rue des Peupliers. Un samedi, il arrive et me lance en me regardant dans yeux: «La vie, c’est comme la température…» Je n’ai retenu que les premiers mots. Il parlait du soleil, de la pluie, du vent qui secouait les piquets de clôture et retroussait les jupes des filles qui fréquentaient le couvent. Ce fut l’illumination! Le soir, après le travail, dans ma chambre alors que tout le monde dormait, je me suis livré à la poésie en tremblant.

La vie c’est comme la température
Parfois, ça peut faire dur
Souvent, c’est trop chaud
Quand le soleil pousse dans le dos.

Poésie saute dessus

Il faut commencer quelque part. Je n’avais pas de livres de poésie sous la main, mais j’avais monsieur Nadeau. La semaine suivante, dans la bibliothèque de l’école secondaire Pie XII de Saint-Félicien, j’ai trouvé les poèmes d’Émile Nelligan.

Mon âme est noire! Où-vis-je? où vais-je?
Tous ses espoirs gisent gelés:
Je suis la nouvelle Norvège
D’où les blonds ciels s’en sont allés
1.

J’ai appris plusieurs poèmes d’Émile par cœur. Et quel effet a eu Paul Éluard sur moi quand j’ai lu beaucoup plus tard ce vers inoubliable: La terre est bleue comme une orange. Ce fut une déflagration, un big bang. On pouvait donc écrire des affaires de même. Je me suis mis à la poésie comme on entre en religion, usant mes crayons à mine de plomb et effaçant sans cesse.

Mais que pouvais-je écrire après «les sanglots longs des violons de l’automne blessent mon cœur d’une langueur monotone»? Verlaine et Rimbaud avaient tout dit. Comment écrire quand on est le dernier de la liste? Comme si l’évolution de Charles Darwin avait pris fin avec mon père et que je n’étais qu’un boson de Higgs détraqué.

Langevin

J’ai déjà parlé de l’effet Gilbert Langevin. Il était mon premier poème vivant et je pouvais l’écouter, lui parler, le toucher et chose étonnante, il aimait la bière autant que moi. Avec Gilbert, je ne savais jamais quand il récitait l’un de ses poèmes ou bien quand il parlait comme tout le monde. Il m’a fait lire Antonin Artaud que j’ai eu bien du mal à comprendre, Saint-John Perse, Paul Reverdy, Jules Supervielle, René Char, Yves Bonnefoy et bien d’autres. J’ai acheté alors presque toute la collection «Poésie» de Gallimard, rêvant d’y voir mon portrait sur la page couverture. Je tentais de faire exploser les mots pour qu’ils échappent à tous les carcans. La poésie, c’était partir pour n’importe où.

Et ce fut Gaston Miron et Paul Chamberland. Ils ont eu le même effet sur moi que Marie-Claire Blais. Ils esquissaient un Québec gelé ben dur, étouffé dans un banc de neige, un pays qui avait besoin de la respiration artificielle.

La marche à l’amour s’ébruite en un voilier
De pas voletant par les eaux blessées de nénuphars
mes absolus poings
ah violence de délices et d’aval
j’aime
    que j’aime
         que tu t’avances
ma ravie
frileuse aux pieds nus sur les frimas2

Je me suis mis à scander les poèmes de Langevin et de Miron, d’Yves Préfontaine aussi! Il y avait tant de pistes à suivre. Et tout a basculé quand j’ai mis la main sur Tristan Tzara et L’homme approximatif. Une révélation! Je n’aurais jamais publié L’octobre des Indiens sans ce choc. Il m’a donné une forme pour mes poèmes. Une chaloupe, si vous voulez, dans laquelle je pouvais entasser mes mots et plonger dans les plus gros rapides.

Et j’ai eu mon recueil de poésie en 1970. Un livre tout blanc comme dans la collection de Gallimard, aux Éditions du Jour. Mon seul recueil de poésie.

Narration

C’est encore l’effet Langevin. Il trouvait mes poèmes narratifs. Je ne pouvais m’empêcher de raconter une histoire. Poète, oui, mais surtout conteur, inventeur de vérités. De quoi ébranler le clocher de l’église de La Doré que je fréquentais pour faire plaisir à ma mère lors de mes retours au village.

Et j’ai écrit Anna-Belle, un roman qui n’est pas un roman, une histoire à côté d’une histoire où je mets tous les poètes à table. Mon texte est tapissé de poésie que je cite tout de travers pour danser autour d’une femme qui se gave de mes phrases. C’est comme si je dynamitais mes poèmes pour les laisser se répandre sur une centaine de pages. Parce qu’un poème est une sorte de trou noir qui compresse les mots pour n’en garder que quelques-uns à la surface. Et quand la «dilatation brusque» (terme pour remplacer big bang que je ne veux pas répéter) se produit, ça donne des romans.

Lecture

Je lis encore de la poésie. François Charron, l’admirable, mon ami de toujours, Carol Lebel, ses textes pesants de questions, avec ses toiles qui ouvrent des fenêtres sur des mondes.

Les mots sans mystères
S’effacent les uns après les autres
3

François Turcot, l’étonnant, l’existentiel, Charles Sagalane pour les chemins étranges qu’il emprunte et Denise Desautels et Hélène Dorion pour leurs murmures. Gabriel Robichaud pour la musique dans l’oreille. J’aime encore et toujours Pierre Morency parce que son poème est chaud comme une caresse malgré la peur parfois qui colle à la lueur d’un fanal. Ça me ramène à Guillevic que je lis en m’agenouillant comme pour une prière. Et parfois aussi, les paroles de Luc De Larochellière, pour me rappeler qu’une chanson, c’est un texte avant tout.

Alors mettez au cimetière les balançoires les toboggans
Que l’on voie s’enfuir la misère devant tous les rires des enfants
Pendant qu’encore à la radio on nous joue et rejoue sans fin
La tragédie du grand suicide américain
4.

J’aime la poésie, le souffle de la pensée, ce battement des paupières qui fait trembler l’Amérique, ce mariage d’hirondelles qui s’envolent pour le plus beau et le plus fou des voyages. ♦

Poésie saute dessus 2Photos: Cindy Boyce

 


Yvon Paré a publié un essai, des romans, de la poésie et des récits Le voyage d’Ulysse, un roman épique dans lequel il suit les traces du personnage d’Homère, a remporté le prix Ringuet du roman de l’Académie des lettres du Québec en 2013. On peut lire ses chroniques sur yvonpare.blogspot.com.

  • 1. Émile Nelligan, Poésies complètes, Montréal, Typo, 1998.
  • 2. Gaston Miron, L’homme rapaillé, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 1970.
  • 3. Carol Lebel, Carnet du vent 2, Chicoutimi, Éditions de l’A.Z., 2017.
  • 4. Luc De Larochellière, «Suicide américain», chanson tirée de l’album Autre monde,
    Les disques Victoire, 2016.
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