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La neige sale du printemps

Histoire

Des robes longues pour tous les garçons
Habillés comme ma fiancée
Pour des filles sans contrefaçons
Maquillées comme mon fiancé
Le grand choc pour les plus vicieux
C’est bientôt la chasse aux sorcières
Ambiguë jusqu’au fond des yeux

Indochine, Troisième sexe

Fleur

 

Ode à l’artiste queer qui grâce à sa voix détonne et étonne, qui nous rappelle qu’il faut embrasser son existence, qu’il la faut vivre.

Ode à sa poésie qui nous sort des montagnes escarpées de la binarité.

Ode à cette scène queer dans sa forme, aux romans qui endossent plusieurs genres à la fois.

Ode aux pionnier·ères et aux contemporain·es qui racontent le queer – et qui (évitons à tout prix le mot «normalisé») le légitiment.

Chaque personne qui se tient debout dans sa vérité est un acte de révolution en soi.

tu n’es pas un homme homosexuel
je ne suis pas une femme trans
nous sommes ensemble
nous nous aimons
simplement

les choses véritables:

les baisers qui replantent les frissons aux bons
    endroits
    la floraison des larmes
à travers les autres
malgré les autres

le plancher craque
mais nous savons nos craquelures
nous savons comment faire passer la lumière

Je suis habituée à être un attentat pour les yeux, une contra-diction pour le désir. Ils pensent que je suis un homme à cause de ce qui pend entre mes jambes.

Avec moi, ils ne savent plus de quel pays ils viennent. Ils partent de toute façon plus qu’ils ne viennent. Je floute les frontières, j’ai ce don, avant c’était une malédiction.

Ce soir, une date. Je glisse vers son rire tendre. Le plancher sous mes pieds nus revêt une sueur nouvelle et confiante.

Mes vêtements tombent et moi je reste debout.

Chaque pas que je fais vers lui, je le fais surtout vers moi.

Dissimuler mon érection – ça me gêne au début que tu voies cette protubérance. J’ai longtemps voulu arracher cet appendice de mes propres mains – je ne te le dis pas cette fois-là pour ne pas briser l’ambiance déjà tendue.

La fureur transphobe me déconcentre, je pense à mes sœurs poignardées, lacérées, brûlées, j’ai la chienne. Elles restent en filigrane derrière mes paupières. Tu me rassures, tu n’es pas un enfant de la haine.

Je desserre mes poings habitués à la lutte.

Je voudrais être autre chose qu’un secret. Être vivante pour le dire.

Je sors de chez toi avec ton prénom bien formé dans ma bouche.

On s’aime une nuit,

cinq nuits,

ensuite on en viendra même à s’aimer dans le jour.

Tu me retiens dans les draps. Il va falloir que je rentre avant le matin. Cendrillon avait son carrosse, moi, j’ai la menace d’une repousse de barbe.

Tu passes tes mains sur ma figure. Mon souffle se coupe. Non, je t’en supplie ne va pas là où ça brûle. Je ne comprends pas. On a voulu me battre des dizaines de fois quand on s’est rendu compte que mon visage perd de sa douceur après une certaine heure.

Sous la pulpe de tes doigts, ma repousse de petits poils blonds, bruns, aux reflets auburn, ma peau de papier sablé.

Je te fais dos. Je suis la neige sale du printemps, que je te dis.

À ma grande surprise, tu embrasses ma repousse de barbe, plusieurs fois.

Cet après-midi, je repartirai avec ta salive sur mes joues qui sourient.

 


Gabrielle Boulianne-Tremblay est écrivaine et comédienne. En 2018, elle faisait paraître Les secrets de l’origami à Del Busso. Co-porte-parole d’Interligne, elle est également coéditrice des trois recueils collectifs Poèmes pour Saturne et travaille actuellement sur une autofiction.

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