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Auteur d’une trentaine de titres jeunesse et grand public, Daniel Marchildon, l’un des piliers de la littérature franco-ontarienne, propose avec Aventure d’un soir un recueil de nouvelles qui n’ajoute rien à une œuvre déjà solide.

Nouvelle

Auteur d’une trentaine de titres jeunesse et grand public, Daniel Marchildon, l’un des piliers de la littérature franco-ontarienne, propose avec Aventure d’un soir un recueil de nouvelles qui n’ajoute rien à une œuvre déjà solide.

Les textes composant ce florilège, écrits entre 1986 et 2015, ont été regroupés en trois sections: les intrigues des «Nouvelles livresques» sont axées sur le milieu littéraire; les «Nouvelles amoureuses» se lisent comme des variations plus ou moins heureuses sur un thème on ne peut plus éculé; enfin, les «Nouvelles périlleuses» chantent «la destruction d’un monde», la mort.

Du côté du prévisible et du convenu

Voilà, somme toute, un programme fort alléchant, que l’auteur gâche par un manque flagrant d’originalité et une propension à cultiver à tout prix l’art de la chute. Loin d’être un expert de l’écriture nouvellière, j’estime cependant que l’époque des fins surprenantes et des excipits à la Maupassant est irrémédiablement révolue. Il s’agit là d’un procédé quelque peu passéiste qui n’a rien d’innovateur. Or, les nouvelles d’Aventure d’un soir sont truffées de tels clichés désolants. À preuve, «Une aventure d’un soir» met en scène ce qui semble être à priori une relation passionnée et torride, alors que la finale révèle que la narratrice est au lit en train de dévorer un livre. De même, «La fête postmoderne du couple contemporain» détaille les préparatifs pour une grande célébration qu’on devine être un mariage, mais qui s’avère un divorce. Quant à «Voyage fatal», la nouvelle relate les pérégrinations ultimes d’un narrateur angoissé à l’idée de trépasser, mais une phrase du quatrième paragraphe, «Cette fois, je transportais une serviette de plage pour mon amie», laisse déjà entrevoir que le personnage principal est un sac de plastique. En se confinant de la sorte à des techniques narratives désuètes, Marchildon donne à lire au mieux des nouvelles figées, codifiées, voire artificielles, au pire des banalités d’une extrême fadeur.

Quelques surprises

Plus réussis sont les textes dans lesquels l’écrivain évite les recettes toutes faites, s’écarte des sentiers battus et teinte son propos d’un humour désopilant, décapant, mais toujours subtil. C’est notamment le cas des nouvelles dépeignant le milieu littéraire, ses institutions, sa faune, ses rites, ses codes. Ainsi, «Le petit coin… de lecture» dresse un portrait crédible et réaliste des relations auteur/éditeur, le premier cherchant à faire valoir les mérites de son manuscrit (un recueil de microrécits spécialement conçus pour les lecteurs lorsqu’ils sont à la salle de bains), le deuxième se montrant plutôt dubitatif, pour ne pas dire récalcitrant, face à un projet aussi scatologique. «La douze millième édition» se présente également sous la forme d’un dialogue, cette fois-ci entre Platon, qui est sur le point de mettre la touche finale à la dernière édition de Phèdre, et nul autre que Dieu. Comique, gouailleur, ce texte aborde des thèmes plus sérieux comme l’histoire de la religion.

Dans cette veine, la nouvelle la plus captivante est sans contredit «Le prix du succès»: au sein d’une petite localité marquée notamment par les tensions linguistiques, les notables ne savent pas comment réagir lorsqu’un des leurs, Frédéric Malherbe, remporte le Prix du Gouverneur général pour son dernier recueil de poèmes. Ils évaluent les possibilités, supputent, tergiversent. Comme l’indique le maire Charlewood, les enjeux sont considérables: «Si on ne reconnaît pas formellement l’œuvre de cet écrivain, les gens vont nous traiter de crétins incultes et nous aurons raté une occasion rêvée de faire de la publicité pour la région.» L’auteur franco-ontarien examine ici avec finesse le système des prix. Ce faisant, c’est toute l’institution littéraire, avec ses compromissions ainsi que ses jeux de pouvoir et de coulisses, qui est passée au crible.

Bilan plus que mitigé

En dépit de ces réussites, Aventure d’un soir ne s’impose pas comme un titre majeur. Dans «Le petit coin… de lecture»,
le narrateur, écrivain, qualifie en ces termes son projet d’écriture:

Dans ces textes bien ficelés, avec un incipit accrocheur et une bonne chute, on retrouve de l’humour grinçant et des personnages hétéroclites, du bonhomme grichoux au poète maudit, en passant par la ménagère analphabète. On en lit un ou deux, trois à la limite si notre affaire prend du temps, et on passe un agréable moment, au point de presque oublier pourquoi on se trouve là.

De tels propos pourraient tout aussi bien s’appliquer à l’ensemble des nouvelles de Marchildon: bien écrites, structurées et diversifiées, elles sont tout au plus des exercices de style plaisants qui ne laissent guère une impression durable. ♦

Auteur·e·s
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Daniel Marchildon
Ottawa, L'Interligne
2019, 130 p., 23.95 $