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Jean-Paul Daoust et la contre-culture

Jean-Paul Daoust et la contre-culture
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Cet article tente de faire voir ce qui émergeait de la littérature et de la contre-culture, en particulier chez l’écrivain Jean-Paul Daoust. Que se passait-il chez nous, à la revue Cul Q et aux éditions du même nom?

J’ai rencontré Jean-Paul Daoust à l’automne 1976; Oui, cher venait d’être publié aux éditions Cul Q. Nous nous sommes connus durant la Rencontre internationale de la contre-culture; y avaient été invités, entre autres, Josée Yvon, Denis Vanier, Paul Chamberland, William Burroughs, Allen Ginsberg… Et une certaine fébrilité montréalaise était déjà bien vivante: se répandaient, à Montréal, Hobo-Québec, Mainmise et le Front de libération homosexuel, qui se développerait dans diverses revues gaies de l’époque. Jean-Paul Daoust, en publiant deux «livres» aux éditions Cul Q, Oui, cher et Chaises longues, participait d’emblée à cette nouvelle et différente littérature.

Par ailleurs, il est bien difficile de faire le point sur ces années qui ont vu apparaître Jean-Paul Daoust et Jean Leduc dans la littérature québécoise… De 1968 à 1990, tout semblait paradoxal, et il paraît chimérique de trouver les solides logiques qui soutenaient les diverses et nombreuses manifestations artistiques ou «intellectuelles». Par exemple, l’écrivain Patrick Straram cite avec admiration, dans son 4X4/4X4 (Les Herbes rouges, no16, 1974), à la fois Mao, Lyotard, Lefebvre, Freud, Godard, Nietzsche, Marx… Quel mélange! Toujours dans le même numéro, Straram, vêtu en guerrier sioux, fumant un cigare cubain, explique son titre, 4X4/4X4, par la sémiotique des nombres, sorte de nouvelle «numérologie». Cette mixité semble avoir marqué la contre-culture montréalaise, comme si de nombreux écrivains québécois voulaient appartenir à toutes les mouvances (j’en étais), s’habillant de toutes les idées nouvelles. Ces paradoxes, on les retrouve révélés, mais bien autrement, dans Les cendres bleues, de Jean-Paul Daoust, où l’enfant violé est amoureux de son violeur; et c’est par le viol qu’il découvre le désir, l’amour et la beauté des corps masculins.

La revue Cul Q, dont le premier numéro paraît en novembre1973, s’est immédiatement présentée comme un lieu de contestation de la littérature officielle et de ses institutions. Il était clair que notre revue, par son iconographie érotique, voire pornographique, ses jeunes auteurs, les thèmes abordés, les langues utilisées dans ses pages, se situerait du côté ludique et anarchique de la mouvance contre-culturelle. Elle se moquait des revues qui portaient des noms révélateurs d’une vision passéiste de la littérature (ou interprétée ainsi par notre comité de rédaction):

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Les écrits du Canada français, Voix et images du pays, Études françaises, etc. En fait, Cul Q s’insurgeait contre le grand récit mythologique du nationalisme canadien-français, avec sa sempiternelle nostalgie de la France. Les textes publiés chez nous décriaient les positions universitaires et journalistiques, qui ne voyaient plus la littérature qu’à travers la seule lunette d’un certain nationalisme. N’affirmait-on pas à l’époque que la littérature que nous écrivions était bourgeoise, sans objet ni intérêt? À nos yeux, les références vieillottes ne tenaient jamais compte de notre «américanité»… Souvenons-nous de la revue Mainmise, des artistes ti-pop, des spectacles du Quatuor de jazz libre du Québec, des spectacles multimédias de L’Infonie. Cette américanité ferait de Jean-Paul Daoust le poète type de cette esthétique vivante: «Détestable Amérique, passionnante Amérique!», aurait-il pu écrire. Jean Leduc et Cul Q s’opposaient à toute mentalité fermée. Notre revue était un lieu de dépolitisation nationaliste affirmant diverses «intensités» créatrices, allant de la culture populaire au dandysme le plus délirant (Jean-Paul Daoust, for ever), de la désinvolture à la politique-fiction, du ludique au lubrique, en passant par une agressive et rieuse lucidité.

Jean Leduc a rencontré Jean-François Lyotard au milieu des années 1970. Cette amitié ou complicité a eu son importance: le numéro 6-7 de la revue s’ouvre sur une citation du philosophe français pouvant servir d’introduction à Cul Q et à Hobo-Québec: «on pourra dire qu’elle est faite d’un patchwork d’organes, d’éléments de corps organiques et sociaux, la peau libidinale… comme une traînée des intensités, œuvre éphémère, inutile…» En ce sens, il faudrait parler des liens «théoriques» qui se sont lentement tissés entre les deux revues, Hobo-Québec étant devenue une antenne de Cul Q, ou vice versa: Jean-Paul Daoust, Claude Beausoleil, Alain Fisette, Jean Leduc, Denis Vanier, Yolande Villemaire, Josée Yvon, Lucien Francœur et moi-même avons publié assidûment dans les deux revues.

Il est bien évident que l’écrivain Jean-Paul Daoust et son excentrique personnage ne trouvent pas leur compte dans ces quelques lignes de présentation. J’ai voulu donner à penser, par la petite histoire, ce poète contre-culturel et étonnant qu’on a parfois ridiculisé dans certains milieux, mais qui a contribué à ébranler, à moderniser le Québec littéraire… Ce devait être dit!

 


Jean-Marc Desgent est né à Montréal. Poète, nouvelliste, essayiste et critique littéraire, il a reçu entre autres le Prix du Gouverneur général, le Grand Prix Québecor du Festival international de la poésie de Trois-Rivières à deux reprises ainsi que le prix Alain-Grandbois de l’Académie des lettres du Québec.

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