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Je t'aime... moi non plus

L’éternelle question du couple est à nouveau posée dans cette pièce où les deux parties défendent leur point de vue. De cette joute verbale, l’amour est mis à mal.

Théâtre

L’éternelle question du couple est à nouveau posée dans cette pièce où les deux parties défendent leur point de vue. De cette joute verbale, l’amour est mis à mal.

La première scène s’ouvre alors que Lui s’apprête à aller prendre un verre avec Sophie Poirier, une fille avec qui il a trompé Elle, et qu’il prétend vouloir revoir seulement par amitié. De son côté, Elle préfèrerait qu’il s’abstienne, mais Lui réplique que le désir a été consommé, et qu’il ne veut la revoir que parce qu’elle est une excellente interlocutrice. C’est le point de départ qui mènera le couple — formé de jeunes trentenaires intellectuels, un doctorant en philo et une auteure en psychanalyse — à discuter de l’amour, de la fidélité et de l’engagement.

Le titre de la pièce suggère la rhétorique qui sera développée, référence à l’œuvre littéraire de Roland Barthes, qui n’a cessé de creuser le domaine sémiotique. Dans Fragments d’un discours amoureux, Barthes décortique les moindres soubresauts du sentiment, sachant d’avance que « vouloir écrire l’amour, c’est affronter le gâchis du langage : cette région d’affolement où le langage est à la fois trop et trop peu […] ». Chez Chabot, le plaidoyer pour la vérité amoureuse passe par une tentative de définition raisonnée, qui échouera à bien des égards.

L’amour au temps de tous les possibles

La pièce est campée à notre époque et met en scène un homme et une femme de la génération Y, aussi appelés millénariaux. On les reconnaît à certains termes qui leur sont propres, notamment le man en début de phrase ou le fucking qui sert d’interjection à tout propos. Mais le fond reste le même, à la différence près que le sujet de l’amour est peut-être encore plus fragilisé qu’à toute autre période, car tous les choix nous sont maintenant offerts dans une quasi-instantanéité éprouvée. En postface, l’auteur et éditeur Nicolas Langelier dit que « cette possibilité constante de remettre les compteurs à zéro avec quelqu’un d’autre est particulièrement attirante, pour l’individu du 21e siècle ». C’est pourquoi il est important de confier une fois de plus le propos à l’étude, parce que s’il n’est pas nouveau, il cherche à se réinventer — si possible, à se réenchanter.

La trame n’est pas non plus sans rappeler Scènes de la vie conjugale (1974) du cinéaste Ingmar Bergman, où un homme et une femme remettent sempiternellement leur union en question, mais restent ensemble malgré tout. Faussement convaincus d’avoir pu faire des choix, les individus du couple finissent irrémédiablement rattrapés par les défaites et les compromis. « Pour s’acheter une sécurité extérieure, ce monde exige un prix très élevé : accepter la destruction permanente de sa personnalité », dit Marianne. La cellule du couple apparaît en un certain sens comme une prison qui nous condamne à chercher à tout prix ce qui finit pourtant par nous faire souffrir. Dans la pièce de Chabot, les amoureux ne semblent pas plus être en mesure d’aller au-delà de leurs ego pour rejoindre leurs vis-à-vis. Elle pourra peut-être accorder son pardon à Lui d’une seule façon : en outrepassant elle aussi les règles implicites de la fidélité. Car Lui l’a presque convaincue, à force d’argumenter sur la question. La manipulation se pratique de part et d’autre, chacun protégeant bec et ongles ce qui lui reste d’amour-propre. « On n’est pas capables d’aimer l’autre comme il est, de toute façon », laissera tomber Lui.

Le couple, la limite

Même si la parole de Catherine Chabot n’est pas nécessairement nouvelle, elle a l’audace d’examiner le sujet encore une fois et elle le fait avec beaucoup d’intelligence. Le rythme des répliques qui se chevauchent à tout moment, en plus de miser sur le réalisme, installe la conversation dans cette urgence d’aller jusqu’à l’extrême — accusations, menaces, mauvaise foi —, comme une manière de mettre à l’épreuve l’amour de l’autre.

Si le couple est une méprise, s’il n’est qu’une invention qui ne prendrait pas sa source dans la nature de l’humain, mais qui serait plutôt un concept à redéfinir, pourquoi cherchons-nous constamment à en reproduire la forme ? « C’est comme si tu m’avais objectifié. C’est pus une image de moi que t’entretiens, mais c’est celle du couple. Si jamais on était pus ensemble, tu serais en deuil de la projection de ce qu’on est, pas de moi-moi », dit Lui.

C’est Aristophane qui disait dans Le banquet de Platon, « chacun cherche sa moitié ». Une fois que nous l’avons trouvée, encore faut-il se rappeler ce que nous cherchions en elle, ce qui nous la rendait unique, et ce pour quoi nous l’avions au départ espérée. Chabot ne nous donne pas la réponse, mais elle continue avec nous d’explorer. ♦

Auteur·e·s
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Article au format PDF
Catherine Chabot
Montréal, Atelier 10
Pièces
2018, 104 p., 14.95 $